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LE PAIN MAUDIT, d'après Maupassant

Publié le 15 avril 2012 par Dubruel


Le père Taille avait une fille, Anna.

Un matin,

Philippe, le fils Boulat

Vint lui demander sa main.

Les Boulat étaient riches et bien posés.

Il avait de la chance.

On résolut que la noce serait d’importance.

Anna voulut l’organiser

Chez les Boulat.

La date du mariage, elle la fixa

Au dernier mardi d’avril.

Après les formalités civiles

Et la cérémonie religieuse,

La noce se dirigea

Vers la maison Boulat.

Là, la procession joyeuse

Monta l’escalier lentement.

Anna ouvrit l’appartement.

Le couple s’embrassa tendrement

Tandis que Taille inventoriait l’ameublement.

Le repas commença.

On mangeait bon mais on ne rigolait pas.

L’atmosphère était trop distinguée.

Cela gênait.

Mme Boulat, la mère

Tachait d’animer la réception.

Quand arriva le dessert,

Elle dit : « Fils, chante-nous une chanson.»

Philippe passait pour avoir

La plus jolie voix de Pouilly sur Loire.

Le marié se leva, sourit

Et entama Le pain maudit :

Il est un pain béni qu’à la terre économe

Il nous faut arracher d’un bras victorieux.

C’est le pain du travail, celui que l’honnête homme,

Le soir, à ses enfants, apporte tout joyeux.

Mais il en est un autre, à mine tentatrice,

Pain maudit que l’Enfer pour nous damner sema (bis)

Enfants, n’y touchez pas, car c’est le pain du vice !

Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-là ! (bis)

Toute la tablée applaudit.

Le père Taille dit :

-Ça, c’est tapé !

Dans sa main une invitée

Tourna un croûton de pain.

Un convive murmura :-Très bien !

Le marié annonça :

-Deuxième couplet, et lança :

Respect au malheureux qui, tout brisé par l’âge,

Nous implore en passant sur le bord du chemin ;

Mais flétrissons celui qui, désertant l’ouvrage,

Alerte et bien portant, ose tendre la main.

Mendier sans besoin, c’est voler la vieillesse,

C’est voler l’ouvrier que le travail courba. (bis)

Honte à celui qui vit du pain de la paresse.

Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-là ! (bis)

On hurla en cœur le refrain.

Des femmes pleuraient.

Le père Taille se mouchait

Et Boulat, affolé, brandissait un pain.

Anna, troublée aussi, envoyait des baisers

À son mari pour le féliciter.

Philippe reprit, grisé

Par le succès :

Dans son simple réduit, ouvrière gentille,

Tu sembles écouter la voix du tentateur !

Pauvre enfant, va, crois-moi, ne quitte pas l’aiguille.

Tes parents n’ont que toi, toi seule es leur bonheur.

Dans un luxe honteux trouveras-tu des charmes

Lorsque, te maudissant, ton père expirera ? (bis)

Le pain du déshonneur se pétrit dans les larmes.

Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-là. (bis)

Seul le père taille reprit le refrain.

Anna, très pâle, baissait ses beaux yeux bruns.

Le marié, interdit, regardait autour de lui

Sans comprendre la cause de ce froid subit.

L’invitée qui tenait le croûton

Le lâcha  comme s’il eut été du poison.

Pour sauver la situation, Boulat déclara :

-Il est de trop, ce dernier couplet.

Les yeux pleins de larmes, Anna dit au valet

D’une voix mouillée :

-Apportez le champagne, s’il vous plait.

Aussitôt, une joie secoua les invités.

Le père Taille, lui, n’avait rien compris.

Il brandissait toujours son pain

Et chantait en le montrant à son voisin.

Puis toute la noce reprit :

Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-là.

(Ange Lure)

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Le mariage est la traduction en prose du poème de l’amour.

A. Bougeard

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