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Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 25. des raisons du sacrifice de l'oryx dans les rites égyptiens

Publié le 06 mars 2012 par Rl1948

   Je t'apporte l'oryx abattu à la Place d'exécution. L'ennemi de l'oeil est sous ton couteau, tu le vois massacré et tu te réjouis de son anéantissement.

Discours du roi à Horus

Inscription au temple d'Edfou

dans Philippe DERCHAIN

  Le sacrifice de l'oryx

Rites égyptiens I

Bruxelles, F.E.R.E., 1962

p. 44

   A maintes reprises dans mes interventions, j'ai déjà insisté, amis lecteurs, sur l'ambiguë dualité des rapports des Égyptiens avec les animaux : les adorant quand il s'agissait de voir en eux un compagnon, un dieu ou le gibier apprécié de leurs papilles gustatives, les abhorrant quand ils leur attribuaient des pouvoirs maléfiques. Ainsi en fut-il par exemple de l'oie du Nil et du canard, mais aussi de l'antilope et de l'oryx.

   Considéré comme le réceptacle des forces du mal, ce dernier, lourd de connotations mythologiques, se devait d'être annihilé pour permettre au défunt de jouir pleinement de sa vie post mortem, si la scène était représentée dans une tombe, pour contrecarrer ce qui risquait de menacer l'ordre, partant, la bonne marche de la société, si elle était gravée sur les parois d'un temple. 

   Le notable harponnant le poisson et celui lançant son bâton de jet aperçus au sein des tableaux de chasse et de pêche dans les marais nilotiques, n'avaient, souvenez-vous, nulle autre raison d'être : il s'agissait pour eux aussi de tout tenter afin que soient mises hors d'état de nuire les puissances mauvaises susceptibles d'entraver le déroulement harmonieux de sa vie dans l'Au-delà.

   Nonobstant, il vous faut rester conscients que tout animal sacrifié parce que censé héberger des forces négatives qu'il demeure primordial de contrer, servait encore par la suite à la nourriture du dieu présidant à la destinée d'un temple. Et de ce fait, considérer que quelles que soient ses interprétations, au rituel du sacrifice de l'oryx est indissolublement associée une connotation alimentaire. 

     Mais qu'avait-elle donc bien pu faire, cette si élégante gazelle blanche, vous interrogiez-vous au terme de notre dernier entretien, pour subir un sort aussi peu amène ?

Fragment E 25512 (1er personnage) (2011)

   Depuis le 14 février date à laquelle nous avons pour la toute première fois admiré l'élégance des traits d'un oryx sur un des fragments peints du mastaba de Metchetchi, ici, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, j'ai tenu à préciser pour vous, le mardi immédiatement après le congé de carnaval, les raisons de sa présence dans l'iconologie de l'offrande puis, samedi dernier, les différentes méthodes utilisées par les officiants ritualistes pour l'occire.

     Indépendamment d'une raison cynégétique évidente depuis les temps préhistoriques - piéger puis tuer pour se nourrir de l'animal que l'on avait pris soin de préalablement faire défiler devant le défunt -, maints temples d'époque gréco-romaine font état d'un sacrifice ritualisé à connotation franchement mythologique aux fins de le punir d'un acte dont il était accusé. 

   En effet, tout comme le porc de la première vitrine de cette même salle que j'avais naguère également évoqué, il vint une époque à partir de laquelle il fut, malheureusement pour lui, identifié à Seth, le dieu fratricide, le meurtrier d'Osiris, celui qui un jour ravit l'oeil lunaire d'Horus !

   Contrairement à ce qu'avancent maints collègues, l'égyptologue belge d'origine verviétoise Philippe Derchain, s'appuyant essentiellement sur les textes pariétaux des temples d'Edfou et de Denderah, mais aussi de Philae, affirme que ce n'est que tardivement que certains mythes assimilèrent l'oryx à ce dieu nuisible.

Mais sûrement pas à l'Ancien Empire, sûrement pas à l'époque de Metchetchi ...

   De sorte qu'à la différence du cochon noir, on ne peut décemment imputer à l'aristocratique animal l'origine des souffrances oculaires infligées à Horus. Partant, on ne peut lui attribuer la bien grande responsabilité d'avoir mis en péril l'ordre cosmique jadis institué par les dieux.

   Nonobstant, il est pourtant certain qu'on le sacrifia déjà rituellement à l'Ancien Empire : certains passages des Textes des Pyramides en attestent, notamment le 138 c et le 1826 b.

Mais alors, quelle en fut la raison ?

   J'ai tué l'oryx avec mon couteau, pour que son corps soit transformé en vêtement pour toi tandis qu'ils fabriquent la barque de Sokaris, peut-on lire dans le temple d'Edfou.

   Assertion intéressante qui nous éclaire sur deux points : dès les temps les plus anciens, ce sacrifice codifié  permettait de bénéficier de sa peau et de consacrer l'animal à Sokaris.

   Pour ce qui concerne l'utilisation de son cuir au niveau vestimentaire, je pense obvies les raisons et de ce fait n'avoir nul besoin de m'étendre davantage. En revanche, l'allusion à une liturgie inhérente à l'élaboration d'embarcations sacrées mérite que j'y consacre un court instant.

   Que la confection d'une barque henou pour Sokaris - dieu des morts à Memphis, à tout le moins avant qu'Osiris l'eût remplacé dans cette fonction -, nécessitât un cérémonial précis au cours duquel l'oryx était décapité aux fins de récupérer sa tête et d'en orner la proue de la barge divine ne fait plus aucun doute.

Usage qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler la tête d'un boeuf qui, à partir du Nouvel Empire toutefois, connut une destination identique pour l'esquif de la même divinité.

   Quoi qu'il en soit, même si ne s'explique guère la présence de ce trophée de chasse en guise d'étrave, le rite du sacrifice de l'oryx, les textes le prouvent, fut un de ceux auxquels les rois égyptiens s'adonnèrent en vue d'honorer leurs dieux

   Plus tard, au Nouvel Empire, apparemment dès le règne d'Amenhotep III comme je vous l'indiquai déjà samedi dernier, puis, surtout à Basse Epoque, l'iconographie des temples tardifs voulut dénoncer une association séthienne de destruction de l'oeil lunaire d'Horus : il fallait donc obligatoirement écarter tout ennemi de la lune.

   Raison pour laquelle, dans le seul but cette fois de protéger l'autre oeil d'une éventuelle agression, rencontrerez-vous souvent proches de la scène de l'abattage de l'oryx, une seconde, pratiquement semblable, qui décrit l'acte d'immoler ce que notre esprit cartésien considère comme une bien inoffensive tortue, en rapport elle, avec l'oeil solaire du même Horus.

   

   De sorte que pour les Égyptiens, ces gestes rituels fondamentalement apotropaïques permettaient de s'assurer  le parfait fonctionnement des deux astres !

   Concluons, voulez-vous, et faisons pour l'occasion preuve d'un nécessaire esprit de synthèse - chassez le naturel de l'Enseignant et il revient au pas d'oryx !

   Dès l'époque préhistorique, prédynastique, l'animal, comme tant d'autres vivant aux confins désertiques de l'Égypte, fut piégé, capturé, maintenu un temps en captivité, domestiqué, engraissé au besoin puis finalement sacrifié, prisé qu'il était pour sa chair et son cuir.

   A l'Ancien Empire, assurément dès la VIème dynastie puisque les premiers Textes des Pyramides en font état, son sacrifice devint l'objet d'un premier geste rituel : sa tête devait, pour une raison que l'on ignore encore, orner la proue de la barque du dieu Sokaris.

     Par la suite, au Nouvel Empire assurément, mais peut-être un peu avant, il fut assimilé au malveillant Seth et ainsi accusé d'avoir attenté à l'oeil d'Horus, mettant de ce fait l'équilibre du pays en danger. Dès lors, et jusqu'aux époques grecque et romaine, l'oryx fut sacrifié par le souverain non plus pour une raison liturgique mais dans le cadre d'un rite astral. C'est ce que nous démontrent à l'envi scènes et textes gravés dans des temples tardifs comme ceux d'Edfou, de Denderah et de Philae ...  

(Derchain : 1962, passim)

   Vous qui, régulièrement, m'accordez votre attention, amis lecteurs, ne pouvez ignorer que parmi les artistes qui me sont fidèles, il en est une plus particulièrement que l'Égypte intéresse, passionne même, celle d'hier comme celle d'aujourd'hui, que l'Égypte rend et heureuse et malheureuse : heureuse quand elle peut la parcourir avec son époux, malheureuse quand elle y décèle la précarité de vie de certains de ses habitants, et plus particulièrement la détresse des enfants de Louxor.

   Entre tous, vous aurez évidemment reconnu Tifet si, d'aventure, vous avez suivi le conseil que de temps à autre je m'autorise à vous prodiguer : visiter son blog qui, comme ceux de Christiana et de mon ami Jean-Claude, constitue la vitrine d'un immense talent.

   C'est pour une oeuvre qu'aujourd'hui encore je vous incite à vous rendre chez Tifet - ou plutôt deux : la sienne, insolite, emplie de rage humaine et qu'elle propose en une vente aux enchères ; et celle pour laquelle, avec d'autres personnes au coeur immense, elle se bat inlassablement : venir quelque peu en aide à ces enfants de Louxor qui tant l'émeuvent.

   Merci à vous, Tifet, de n'avoir de cesse de nous rappeler leur existence ; merci à vous, amis lecteurs, d'accorder à Tifet un peu de votre temps.

Voire même, plus que cela ...


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