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Un beau morceau d’architecture…

Publié le 21 novembre 2011 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 37 (nouvelle série)

Dans ma quête poétique qui a aussi des allures de chasse spirituelle, je tombe en arrêt devant un petit recueil titré en caractères minuscules tentatives de louange. Humilité du dire d’un homme qui sait sa « céleste insuffisance »… Son auteur est presque centenaire mais il chante la vie avec l’allégresse émerveillée d’un chevreau batifolant dans les prés, tétant goulument les mamelles de sa mère et gambadant au soleil. Je le dis avec la manière rustique du rural contemplatif que je suis, mais Henry Bauchau est poète de la joie qui demeure, un poète qui chante la Création, qui tutoie le Seigneur et un certain maître Eckhart. Un type dont une maturité certaine n’aurait pas occulté les yeux de l’enfance. Bref, un lyrique comme je les aime.

D’où ces louanges qu'on peut lire comme autant de tentatives de construction à la gloire du principe créateur, quel que soit le nom qu’on lui donne. Et aussi à tous les acteurs anonymes, humbles seconds rôles de cette création continuée…

« Louange à l’herbe, aux champs, au béton humilié

Et à tous ceux qui plantent ce que l’on voit à peine

Louange à l’art des cavernes

Louange à l’artisan

Je ne connais pas l’art profane

Tout est sacré. »  (in Exercice de louange, décembre 2010)

Sans doute tout est sacré à partir du moment où on le dit. C’est l’action du Verbe créateur qui est l’acte poétique, l’acte constructeur fondamental. Mais il y a construction et construction. Ecrins trop ostentatoires ou modestes ouvrages d’architectes discrets… Et rien ne saurait faire oublier la chaleur de la pierre pour qui sait la sentir… et plus encore celle de cette chapelle évoquée ici, l’église d’hommes du merveilleux roman de Fernand Pouillon, sacrée de pierres sauvages

Architectures de louange

Sur le grand escalier nous nous sommes assis

Que la pierre était douce, d’une chaleur humaine.

Immense, derrière nous, présence du château

De l’orgueilleux témoin de la beauté captive.

Façades flétries de gloire et toujours oubliant

Les pauvres, labourés de guerres et de travaux.

Marches douces, escalier modulé par le temps

Longues lignées des arbres, rongées par l’ouragan

Grandes étendues d’eau, la volonté d’un seul

Qui de lui-même crée l’étincelante image.

Ciel bleu, ciel incertain, viennent de lents nuages

Qui vont former des lieux de montagnes et d’abîmes

Des châteaux infinis, de siècles et d’orages

Malgré gloire et beauté, la fin du temps des rois

Il y a trop, trop de statues, trop de fontaines.

Tous deux nous sommes dans la chaleur des pierres

Heureux de la pensée, bleue ou verte, dorée

Pensée de gloire modeste toute tournée vers l’Autre

Celle du Thoronet, sacrée de pierres sauvages,

Voûtes puissantes, maison debout, église d’hommes

Ayant pris forme maternelle, et célébrant la vie

Léger escalier sur le toit qui monte vers la tour

L’art nécessaire est là, rien de trop, rien ne manque

Simplicité de blé, travail, prière et calme

Nous pouvons devenir, devenir toujours plus

Architectes discrets, maisons de la louange.

Soleil intermittent, bénédiction des verts teintés d’automne

Nous nous sommes retrouvés dans un autre jardin

Plus de grands escaliers, de palais de nuages

Belles pelouses, le ciel et l’ombre s’extasient

Roses de ce jardin, mortelles défleuries

Le monde a bien besoin au déclin de ce jour

De vos poèmes de louange

Que leur profondeur parle, lueurs brèves, ténèbres.

(écrit en novembre 2010)

Henry Bauchau (né le 22 janvier 1913 à Malines, en Belgique) in tentatives de louange, qui vient de paraître chez Actes Sud, 2011. Il faut lire le Bauchau poète, moins connu que le romancier d’Œdipe sur la route ou d’Antigone. On trouve tout sur lui (bibliographie, biographie, actualités diverses) dans l’excellent site Fonds Henry Bauchau.


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