Comme Howard Hawks, Corbucci pensait certainement que les bonnes idées sont recyclables, Companeros est donc un remake affiné du Mercenaire. Même structure en flashback à partir d'une scène de duel, même couple improbable composé de Yodlaf Peterson, occidental (un suédois ici) tiré à quatre épingles, trafiquant d'armes au sang froid, expert cynique, jouisseur plein d'humour glacé et sophistiqué, et du mexicain frustre El Basco, débraillé et fort en gueule, maladroit et touchant, héros révolutionnaire malgré lui, jouisseur à l'humour plus populaire. Mêmes antagonistes, les vilains généraux réactionnaires aux supplices sadiques, l'armée mexicaine qui tire toujours aussi mal et l'homme de main impitoyable, composition formidable de Jack Palance en tueur adepte de la fumette, ne se séparant jamais de son faucon Marsha, une femelle qui l'a sauvé d'une crucifixion en lui mangeant la main. Mêmes figures imposées, duels, cavalcades, évasions, fusillades. Mêmes icônes du genre, la mitrailleuse, les cartouchières en bandoulière, le train que l'on dérobe, les villages aux murs blancs éclaboussés de soleil. Et même histoire, celle de deux hommes que tout sépare et qui vont, au fil d'aventures échevelées, apprendre à s'estimer et à apprendre le sens et la valeur d'un engagement. Corbucci devait aussi penser qu'il n'était pas le seul à avoir de bonnes idées car il s'inspire également de son ami Léone, en particulier de la dynamique du duo Tuco/Blondin dans Le bon, la brute et le truand comme dans cette réplique-hommage « A Yuma ! A Yuma... Aiuto ! ».
A côté de cette vaste entreprise de recyclage, il y a surtout un élément neuf avec le personnage du professeur Xantos, joué en grand gentleman par Fernando Rey. Xantos est un pacifiste, leader d'un groupe de jeunes opposants politiques et enlevé par de vilains capitalistes américains, ici des exploitants de pétrole. La parabole est limpide. Le film possède un sous texte politique fortement influencé par les évènements de l'époque. El Basco, avec son béret basque incongru est une caricature de Che Guevara tandis que, comme dans le film précédent, Peterson symbolise l'interventionnisme occidental dans le tiers monde, uniquement motivé par l'appât du gain. Xantos, avec son charisme et son refus de la violence fait penser à des leaders comme Ben Barka, Lumumba ou Martin Luther King. Partis le chercher pour des motifs purement vénaux, Peterson et El Basco vont évoluer à son contact, le suédois un peu moins vite que le mexicain, et devenir des hommes capables de se battre pour un idéal.
Nous avons pas mal discuté chez Tepepa pour savoir quelle importance il fallait accorder aux intentions politiques de Sergio Corbucci. Il est certain que Companeros est avant tout un film d'aventures excitant, un western zapata enthousiasmant, une oeuvre bourrée d'humour qui ne se prend jamais au sérieux. Ainsi le côté Tournesol du professeur Xantos (avec ses tortues !), l'utilisation du jeu exubérant de Milian ou le caractère outrancier des scènes d'action. De fait le film accentue l'aspect comédie par rapport au Mercenaire. Il y a pourtant deux moments un peu plus graves, brefs mais marquants, La série de gros plans « naturalistes » sur les jeunes révolutionnaires lorsque leur mentor décide d'aller se livrer, un passage qui rappelle Quien sabe de Damiano Damiani, et la découverte que l'arme de Xantos n'était pas chargée. Deux passages qui me laissent penser que si Corbucci avait la dent sarcastique avec beaucoup de choses, Xantos et ses idéaux avaient sa sympathie. Sans doute, dans le contexte de 1970, en Italie qui plus est, il devait être difficile de rester optimiste quand à la lutte contre la violence politique. Pourtant Companeros me semble marquer une inflexion définitive dans la carrière de Corbucci, le basculement d'oeuvres sombres, comme Le grand silence, Le spécialiste ou Django à des films plus légers, où la parodie remplace le drame comme dans Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ?. Reste que ses grands films tragiques montrent l'impasse de la violence : Django et Hud finissent à moitié morts et seuls. Silence finit totalement mort laissant le mal triomphant. Companeros et Le mercenaire s'achèvent par la note d'espoir d'un combat qui continue. Progression dans Companeros, le personnage de Nero revient participer au combat d'El Basco qu'il laissait poursuivre seul au Paco du Mercenaire. Dans le très joli plan final Peterson chevauche au ralenti en brandissant son fusil : « Vamos a matar, companeros ! ».
Sergio Corbucci est ici dans sa plus belle période, sa mise en scène est ample, portée par une partition sacrément enlevée d'Ennio Morricone avec cette fois un morceau de chant grégorien, le montage vif, le film a du rythme et du souffle, le souffle de la grande aventure comme dirait l'autre. On pourra toujours lui reprocher une utilisation un peu systématique du zoom, mais c'était la mode. Petite considération technique pour finir, le DVD français est trop court de 15 minutes. L'édition américaine zone 1 est tout a fait abordable, complète et avec un documentaire très bien fait où interviennent Morricone, Milian et Nero. Mais il n'y a pas de sous titre français. C'est la vie.