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La chute de l’URSS, il y a 20 ans

Publié le 31 août 2011 par Copeau @Contrepoints

Vingt ans après l’effondrement de l’URSS, la démocratie russe lutte pour sa survie.

Par Cathy Young, depuis les États-Unis
Un article de la revue Reason

La chute de l’URSS, il y a 20 ans

Déboulonnage de la statue de Félix Dzerjinski, août 1991 à Moscou

Alors que le règne de Muammar Kadafi s’effrite en Libye, l’anniversaire d’une autre révolution passe presque inaperçue. En août 1991, un complot de partisans de la ligne communiste traditionnelle s’en prit à Michaïl Gorbatchev, dont les réformes étaient perçues comme affaiblissant le pouvoir étatique et donnant trop d’autonomie aux républiques constitutives de l’Union soviétique. Gorbatchev fut assigné à résidence sur son lieu de villégiature en Crimée – déclaré officiellement en congés pour raison de santé – tandis qu’un Comité d’urgence composé de huit hommes prenait les rênes du pouvoir. Après trois jours de tensions qui virent l’arrivée de blindés dans les rues de Moscou, théâtre d’affrontements mortels entre les troupes soviétiques et les manifestants favorables à la démocratie, le coup d’État échoua, précipitant ainsi la fin du régime communiste et de l’Empire soviétique.

La défaite des putschistes fut considérée comme une victoire éclatante de la liberté sur la tyrannie. L’ampleur du triomphe devint claire le 24 août, lorsque les téléspectateurs du monde entier regardèrent le déboulonnage par une immense foule en liesse de la statue du fondateur de la police secrète soviétique Félix Dzerjinski, située face au siège du KGB.

Les instigateurs du coup d’État entretenaient le flou à propos de leurs objectifs, affirmant parfois même soutenir des réformes « authentiquement » démocratiques. Leurs actes, cependant, s’éloignaient de leur discours, comme en témoigne la rapide interdiction de toute la presse moscovite non-communiste, ou la fermeture d’Ekho Moskvy, la seule radio indépendante de la capitale. Certains russes anti-communistes furent saisis par le désespoir ; les anciens qui avaient survécu à la terreur stalinienne craignaient l’arrivée d’un autre long et sombre épisode. D’autres, en particulier les jeunes, espéraient que ce qui se déroulait sous leurs yeux était l’agonie du régime soviétique.

Néanmoins, l’optimisme ne suffisait pas : une résistance active était organisée par les autorités de la Fédération de Russie et son président, Boris Elstine. Des dizaines de milliers de moscovites descendirent dans la rue pour défendre les locaux du gouvernement de Russie, sorte de « Maison Blanche » moscovite. Une division blindée de l’armée soviétique déclara allégeance au gouvernement russe, des cadres de la télévision d’État réussirent à diffuser l’enregistrement désormais célèbre d’Elstine s’adressant à la foule depuis la cabine d’un char.

Les gens construisirent des barricades à l’aide de trolleybus et de véhicules servant au nettoyage des rues afin d’empêcher les troupe favorables au coup d’État d’atteindre la maison blanche. Tôt le matin du 21 août, trois jeunes hommes furent tués parmi la foule de manifestants qui essayait de bloquer l’avancée des véhicules blindés. Deux des divisions envoyées pour prendre d’assaut la maison blanche échouèrent à y parvenir ; on donna finalement l’ordre aux troupes de quitter Moscou, et le cauchemar se termina. Gorbatchev revint, les manifestants abattus furent honorés comme des héros, et la statue de Dzerjinski fut renversée.

C’était il y a vingt ans. De nos jours, ce qui apparut comme la victoire du peuple n’est célébré que par une poignée de militants marginalisés appartenant à l’opposition démocrate – dans un pays où « démocrate » est devenu un mot tabou.

La période qui suivit l’effondrement de l’URSS nous rappelle fort à propos que l’euphorie suivant la révolution est souvent de courte durée. Pour la Russie comme pour la plupart des autres ex-républiques soviétiques, la décennie 1990 fut tourmentée. L’engagement d’Elstine pour la liberté était sincère mais, impliqué dans des affaires d’alcoolisme et d’éthique, il se révéla bien moins impressionnant dans ses fonctions de chef d’État qu’en tant que héros meneur de l’insurrection. Les réformes économiques s’embourbèrent, pour partie à cause de mauvaises politiques et de la corruption endémique, pour partie car il n’y avait pas de recette miracle pour s’extraire du désastre que le communisme laissait derrière lui. Appauvri et à la dérive, le peuple rêvait d’un chef prompt à rétablir la fermeté et chercha le réconfort en des rêves de gloire nationalistes.

Ce vide fut comblé par Vladimir Poutine, agent du KGB de carrière qui déplorait publiquement la dissolution de l’Union soviétique, qu’il considérait comme une « tragédie géopolitique », et s’empressa de restaurer l’ordre autoritaire, réduisant la liberté de la presse et faisant accéder au sommet de puissants magnats des affaires. Le niveau de vie augmenta rapidement, non seulement parce que le prix du pétrole était élevé, mais aussi parce que, et nombreux sont ceux qui souscrivent à cette analyse, les réformes des années 1990 en faveur de l’économie de marché, pour décriées qu’elles furent, avaient fini par porter leurs fruits. Alors que la cote d’opinions favorables d’Elstine existait à peine à la fin de son second mandat, celle de Poutine s’accrut considérablement jusqu’à atteindre et dépasser 80 pour cents.

Aujourd’hui, des sondages indépendants montrent que seul un Russe sur deux considère les événements d’août 1991 comme une victoire pour la démocratie. Près de 40% des sondés les voient comme une tragédie dont les conséquences furent désastreuses – contre seulement 25% il y a dix ans, alors que l’environnement politique et économique était bien pire. Il semble probable que ces opinions soient influencées non seulement par l’état du pays, mais aussi par une nostalgie de l’ère soviétique encouragée officiellement et promue par les média d’État.

Alors, tout cela fut-il donc en vain ? Dans son article, Sarnov se souvient d’une conversation avec un homme d’une quarantaine d’années qui était présent à ses cotés lors d’un rassemblement de protestation à l’extérieur de la maison blanche russe. Sarnov lui demanda s’il avait peur : « s’ILS gagnent, vous savez ce qu’ILS feront à nous tous. » L’homme répondit qu’il savait cela – « mais, s’ILS gagnent, je ne veux plus être en vie. » Sarnov se demande maintenant si cet homme vit toujours, « et s’il l’est, que pense-t-il et que ressent-il, quand il voit qu’ILS ont fini par gagner après tout ? »

Cependant, d’autres observateurs russes progressistes sont moins pessimistes. Ils font remarquer qu’aussi laid et parfois vicieux qu’il puisse être, l’autoritarisme de la Russie actuelle ne peut pas être comparé au totalitarisme soviétique, dont les griffes d’acier tombaient sur toutes les facettes de la société. Une contributrice au site Grani.ru, la militante virulente Valeria Novodvorskaya, écrit que « le monde de l’après-août [1991] est un monde différent : un monde sans le mur de Berlin, sans l’URSS, sans le pacte de Varsovie », un monde de frontières ouvertes, un monde où les voyous au pouvoir achètent des voitures de luxe plutôt que des chars, et préfèrent voler que tuer. C’est un monde où les élections sont une comédie mais où la liberté de contestation existe à un niveau inimaginable pour les citoyens soviétiques d’il y a un quart de siècle.

Il y a vingt ans, ce que certains considéraient comme le retour du communisme soviétique se révéla être son dernier souffle. Ce qui se passe actuellement en Russie n’est alors peut-être pas la mort d’une société libre mais sa naissance, longue et douloureuse. Peut-être le jugement de l’Histoire sur la révolution d’août [1991] n’est-il pas encore tombé. En dernier ressort, c’est le peuple Russe qui en décidera.

(*) Cathy Young écrit une chronique hebdomadaire pour RealClearPolitics. Elle contribue également à la revue Reason.

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Article original titré « Russia’s Struggling Democracy » publié le 25 Août 2011 sur Reason Online. Traduit et reproduit avec l’aimable autorisation du site.

Traduction: Jackie V. pour Contrepoints.
 


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