L’escalier

par Arion

Quand le sang n’est plus que la dernière marche à descendre avant de fouler sans pieds la plaine obscure, on peut encore s’asseoir, pelotonné sur cet ultime degré de l’être, revoir sous les paupières les moments de la fête où l’on fut roi, les lieux, les rires, les visages à ce point adorés que l’on croyait ne pas survivre à leur adieu.

Frères humains, renoncez à lui demander ce qu’il éprouve en cette urgence, quand se poussent derrière lui les verrous, et que la plaine noire est là si près, comme une mer dont le ressac lui lèche la main. Vos éclats de vie l’atteignent encore par les balcons d’où vous croyez lui faire signe, et son geste pour vous répondre est une courtoisie d’impuissance. 

Bientôt la marche même où tu voulais dormir est importune. Tu entends le pas du veilleur descendre avec le froid. Sa voix t’engage à l’ultime enjambée, il éteint les flambeaux au perron, et tu t’avances sur le chemin de nuit, seul, sourd, au rendez-vous de ton insubstance oublieuse.