Je ne sais pas si tu as remarqué, lecteur, mais très souvent, plus tu te réjouis à l'avance pour quelquechose, plus amère est la désillusion lorsque désillusion il y a. Alors des fois, un peu pour se protéger, on est tenté de ne pas trop s'emballer à l'avance. Mais là, avec Swann, on était parées. Comme des gamines devant le sapin de Noël et devant LE cadeau tellement attendu qu'on sait très bien qu'on ne va pas être déçu d'autant que l'emballage mal foutu laisse tout voir des contours de l'objet désiré. Etlà on avait toutes deux fait provision de vidéos de la belle, on se repassait les albums en reprenant les refrains façon mantras depuis une semaine : Bref, on était cuites. Prêtes. Charmées par avance et on clamait à qui voulait l'entendre qu'on allait assister "au concert de l'année" :
Pleyel + Cat Power = Mythique affiche.
Le soir venu, tu te doutes bien, on ne tient plus en place. Vas y que je vérifie 20 fois que je n'ai pas oublié les billets, que j'arrive genre une heure en avance pour être-sûre-de-pas-rater-le-début-on-sait-jamais.
Un peu ridicules, certes, mais heureuses.
Alors oui c'est vrai, des rumeurs circulaient selon lesquelles elle avait pris des engagements professionnels à Paris, la semaine précédant ce concert (programmé dans le cadre du festival Days Off) et qu'elle ne les avait pas tenus.
Mais on avait fini par se convaincre qu'elle devait être souffrante ou quelquechose comme ça parce que Cat Power ne PEUT PAS ne pas être professionnelle jusqu'au bout des ongles. Impossible.
Et donc on partait malgré tout plutôt confiantes.
Arrivées dans la salle, vu que notre budget ne nous a pas conduites à choisir des places de la catégorie 1, on ne se faisait pas trop d'illusions et on s'imaginait que le serveur informatique de la cité de la musique nous avait placées haut perchées, on s'attendait donc à voir tout ça de loin mais on se rassurait comme on pouvait à coups de "comme ça on aura une vue d'ensemble remarque, ce sera bien".
Vient le moment d'entrer dans la salle et là les positions qui nous sont indiquées sont au deuxième rang, pile au milieu. Un peu l'impression d'être dans une petite salle massées devant la scène comme on a l'habitude de se placer sauf que derrière l'espace (magnifique) est vaste et qu'on n'est pas posées sur un sol limite niveau propreté mais confortablement installées sur les fauteuils de la luxueuse salle parisienne.
Volupté.
Trop c'est trop, on n'en peut plus tellement tout se passe au mieux, je me prends même à faire des plaisanteries douteuses sur le fait qu'on est tellement bien placées que si on s'ennuie (ce qui ne risque pas d'arriver - précise-je au passage) on pourra toujours compter les plombages dentaires de l'artiste (en vrai j'ai parlé de ses poils de nez je trouvais ça vraiment plus drôle sur le moment (toute à l'euphorie de l'instant) mais comme c'était aussi vraiment moins glam' j'ai opté pour les amalgames dentaires au moment de poster mon statut de fille-qui-crâne-grave sur FB.
Bref.
On est toutes folles, donc.
Première partie (45 min) assurée par un pianiste, Olafur Arnalds, islandais doté d'un accent à couper au couteau qui fait que je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'il dit (ce qui tient aussi au piètre niveau de mon anglais, en toute honnêteté).
L'homme est accompagné d'un quartet de cordes (3 violons et un violoncelle) et d'un musicien qui gère les nappes électro qui enveloppent les morceaux de sonorités trip hop à l'occasion.
C'est beau. Assez magique. Un peu du Jonsi en moins baroque (j'allais écrire moins hystérique alors que je l'adore mais en fait c'est parce que j'aime son hystérie musicale). Somptueux.
Une demie heure d'entracte (oui parce qu'à Pleyel, il y a entracte figure toi). Le temps d'aller acheter un sandwich sans saveur et bien trop cher au foyer de la salle (oui parce qu'à Pleyel, il y a un foyer, figure toi) et de faire un sort aux popcorn salés du comptoir et hop, chacun reprend place quand retentit la sonnerie qui indique qu'il est temps de regagner sa position (oui parce qu'à Pleyel, il y a un signal sonore qui t'indique ce qu'il faut faire et quand tu dois le faire, reconnais le c'est chanmé).
La foule se masse et nous avec vu que la perspective d'être bloquées dans la salle d'attente pendant le concert et d'assister à la retransmission du concert sur un petit écran, on a l'idée que ça pourrait se révéler frustrant (oui parce qu'à Pleyel si tu arrives en retard et donc après qu'ait retenti le dernier signal sonore on ne te laisse pas rentrer (tu pourrais déranger, t'avais qu'à être à l'heure aussi) mais on te laisse "profiter" dans une salle d'attente spécialement dédiée. Ou tu peux tranquillement pleurer sur ta soirée ratée.
NDR : Toutes ces informations sont bien entendues VRAIES.
Le public attend religieusement, dans un premier temps, que l'artiste s'installe. Et s'amuse de voir arriver les instruments en pièces détachées alors qu'il semble à tout le monde que la demie heure de battement laissait suffisamment de marge pour faire ça bien et en toute discrétion mais bon...
Au bout de 10 minutes, ça commence un peu à s'échauffer. Puis le temps passe et toujours aucune information ne transpire, ni aucun signe de l'artiste.
Qui finit par arriver, vraisemblablement très très remuée.
Tasse de thé à la main, bouteille d'eau, mine un peu défaite, la belle s'installe en s'excusant. Charmante et troublante.
Puis elle commence. Et là...Que dire si ce n'est qu'on est passé par tout l'éventail des émotions mobilisables en concert.
Des moments de grâce quand sa voix est là, qu'elle la maitrise et que son interprétation est habitée. Magique. Les fameux moments pour lesquels on se réjouissait à l'avance et dont on imaginait facilement que le set serait plein. Trop rares à mon goût. Parce qu'en dehors de ces instants là il y en a quand même eu beaucoup d'autres où la belle était perdue. Pas juste un peu paumée... Complètement perchée je veux dire.
A chercher ses mots. A ne plus savoir quelles sont les paroles. Voire soit à ne pas chanter (du coup) ou à improviser un début de yaourt vite abandonné. A donner des consignes réprobatives aux musiciens qui pourtant me semblent avoir fait de leur mieux mais paraissaient par moment un peu agacés.
Elle est même allée jusqu'à quitter la scène sans prévenir.
Pause inattendue et inexpliquée.
Elle revient avec des mots griffonnés sur le dos de sa main gauche et un verre de vin. L'air détendu.
Mais elle reprend un set un peu heurté, où ses mains semblent ne jamais devoir trouver le repos, tantôt froissant un col de chemise, tantôt tripotant compulsivement un bouton de son pantalon ou battant un rythme le long de sa cuisse, souvent à contretemps.
Destabilisant.
Parfois souriante sans que la situation ne s'y prête vraiment ou angoissée au point de sembler être sur le point de fondre en larmes, Cat Power émeut, agace, enchante, énerve, attendrit, impatiente.
Le set ne ressemble à rien de ce qu'ai pu voir jusque là, manquant induscutablement de liant mais en même temps quand même très émouvant. La qualité artistique des musiciens n'est pas remise en cause je crois qu'ils ont eu bien du mérite au contraire de "rattraper" pas mal de ses manques, de ses absences (en improvisant des parties instrumentales qui semblaient devoir s'étirer jusqu'à ce que la belle se replonge dans le morceau par exemple, ou daigne regagner la scène). Ceci dit si je fais abstraction de tout l'amour que j'ai pour le travail de cette artiste, je dois avouer que s'il s'était agi de n'importe qui d'autre j'aurais écrit un truc aussi radical que "ça m'a semblé manquer cruellement de professionnalisme" mais c'est Cat Power et si j'ai été vraiment, vraiment déçue, je dois bien reconnaitre que le personnage qui se dessine derrière l'artiste parait torturé au possible et d'une fragilité désarmante et qu'au final son répertoire prend encore davantage de sens depuis cette rencontre, notamment bien sûr son sublimissime "I Don't blame you".
Après sa très théâtrale et trop longue sortie de scène, alors qu'elle s'excuse de la façon la plus confuse et la plus attendrissante qui soit, un fan lui lance d'ailleurs un "I don't blame You" qui la fera sourire un peu tristement.
Ce soir là on sort de la salle le coeur un peu gros. L'impression d'avoir raté l'icône qu'on était venu rencontrer mais touché d'avoir pu approcher de si près l'artiste tourmentée.
D'une inquiétante beauté.
Ebloui non pas par la perfection esthétique qu'on attendait mais par la lumière qui a filtré au travers de toutes ces failles qu'on n'avait pas jusque là soupçonnées.
Au final personne n'ose réclamer de rappel, vu les conditions du concert qu'elle semble déjà avoir eu tant de difficultés à honorer et la belle salue en remerciant de façon confuse et désarmante, en offrant son bouquet de pivoines à la foule et en y jetant quelques bracelets de perles tissées indiens.
Et tu sais quoi? J'en ai attrapé un au vol.
Je la tiens enfin ma revanche sur toutes ces années d'humiliation en cours de gym où je ratais 80% des ballons qui m'étaient adressés, ces moments où tout le monde imaginait que ma taille était censée être un atout majeur pour remplir ce genre de fonction (l'attrapé de ballon, j'espère que tu suis, on a un peu changé de sujet..)alors qu'au fond, on est bien d'accord, c'est plus une question de coordination qui est en jeu...).
Je l'ai voulu, je l'ai eu. Certains diront que c'est le hasard moi j'aime à penser que c'est la destinée. Je repars avec un souvenir tangible de cette rencontre. Un petit morceau précieux de ce moment improbable.
Je termine un extrait des paroles d'"I don't blame you" qui ne résonnent plus tout à fait de la même façon pour moi depuis hier soir :
"Just because they knew your name
Doesn't mean they know from where you came
What a sad trick you thought that you had to play
But I don't blame you
They never owned it
And you never owed it to them anyway
I don't blame you"
Si tu veux retrouver le billet de Swann sur ce concert là, c'est ici même qu'il faut aller...