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Eloge de la pièce manquante, Antoine Bello (exercice de mauvais esprit, évidemment)

Publié le 26 décembre 2007 par Untel
Quoi de mieux, pour une fin d'année, que de se faire un roman de patron, plutôt qu'un chapon ou qu'une dinde?
J'appellerais ça De la Déformation Professionnelle à la Faute de Goût.
Plus sérieusement, voilà le courant littéraire du XXIème siècle : le roman patronal. Eloge de la pièce manquante aurait pu être un roman policier : une série de meurtre survient dans le milieu du puzzle de vitesse, les victimes se trouvent en partie découpées, la pièce manquante étant remplacée par un polaroïd remplaçant le membre disparu par une image du membre correspondant appartenant (on suppose) au tueur. Et alors, bon, sans casser des briques, on aurait pu s'amuser un peu, avec une enquête, pourquoi pas une course poursuite, je sais pas moi, un peu d'action. Mais non, Antoine Bello préfère réaliser une étude de marché fictive sur le secteur du puzzle de compétition (ha ha, une Ligue professionnelle de puzzle de vitesse, et le succès commercial qui va avec). Car au fond, le tueur, du moins dans les cent premières pages, n'occupe que la place du poinçonneur devant lequel on passe sans s'arrêter. Non, au lieu de se lancer à la poursuite de ce tueur, cet assassin s'en prenant à d'assez innocents praticiens d'un jeu inepte, non, on s'intéresse à la société U. (soit dit en passant, une société du nom de U. existe. Antoine Bello en est un des deux fondateurs - et ce n'est pas sans conséquence sur son bouquin, pas moins que dans son dernier roman, que je lirai quand je pourrai le lire gratuitement - tu ne croyais tout de même pas que j'allais l'acheter!). Comment la société U., dans un contexte économique difficile, qui ne laissait pas présager une percée du puzzle sur le marché du divertissement, parvient, grâce à une épreuve de vitesse, à mobiliser les foules, et à devenir rentable.
Comment s'est-y écrit? Avec les pieds (plats). Non, je déconne. Le roman est constitué de pièces (oh, comme un puzzle) : comptes-rendus de réunion de la société de puzzologie (U., chez nous, est une société qui rédige ce genre de trucs, même si hélas il n'est pas question de puzzle dans les réunions traitées, d'où l'humour), échanges de lettres sur les manœuvres de coulisses, coupures de presse qui signalent la progression de l'entreprise et l'extension du marché (les recettes publicitaires des retransmissions des compétitions surpassent celles du Superbowl). C'est un parodie des facettes du style sérieux : de la théorie économique appliquée au commerce de puzzle, du style philosophique des types qui se prennent la tête sur le puzzle comme Zénon avec ses flèches, ou Russell avec ses ensembles (qu'on appelle justement des puzzles), style journalistique, etc. Bien sûr c'est une plaisanterie, éculée certes, mais qu'il est toujours possible de renouveler : parler très très sérieusement de choses futiles.
Et pourquoi pas? Hein? On s'amuse comme on peut, pas vrai? Bon, le problème c'est que ces pièces ne nous encouragent pas à poursuivre notre lecture, il n'y a pas d'élan, de mouvement continu, de suspense. Premier point. En plus, le fait que le style soit parodique, s'il est parfois amusant, ne permet pas de donner chair aux personnages, ni au style. Au fond, tout se passe comme si il ne leur arrivait rien, aux personnages, même si on nous dit qu'ils se font massacrer. Est-ce la façon dont le patronat considère le reste de l'humanité : des silhouettes cartonnées qui font de la couleur dans le décor, qui composent le puzzle du monde au centre duquel se trouve le grand capital et ses incarnations? Les textes sont des exercices intellectuels, certes qui peuvent dégourdir les neurones, comme ça pour passer le temps, comme on joue au puzzle (j'imagine), mais ce n'est pas quelque chose qui nous touche le moins du monde alors quoi pourquoi on lit? Je te le demande. Et pourquoi on écrit? Parce qu'on n'a pas de puzzle sous la main? Et pourquoi on fait publier? Pour voir son nom sur une couverture? Pour gagner un peu d'argent avec son passe-temps, histoire de ne perdre ni temps ni trésorerie? Rentabiliser son investissement en imagination? Les termes d'une éthique se dessinent là, me semble-t-il, susceptible de lancer un véritable mouvement.
Je ne peux pas encore te parler de la fin, puisque je ne l'ai pas lue (je vais le faire), mais si le tueur zigouille ces illuminés pour arriver à gagner leur foutu concours... A moins que ces meurtres aient une pertinence économique ? (hypothèse explicitement posée dans le texte. Quoi que tu fasses, demande toi ce que ça te rapporte - si tu ne crois pas que ce type de raisonnement apparait vraiment dans le texte, lis-le).
Le patron écrit un livre à son image. Un bon sujet de dissertation mais je vais me coucher pour être en forme pour perdre mon temps au boulot demain. Allez bises!

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