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Lire au japon

Publié le 30 mai 2011 par Abarguillet

LIRE AU JAPON

En hommage à un peuple martyr

Traversant la mer, après avoir visité la Corée, nous arrivons au Japon, sur cette terre martyrisée où l’imprévoyance humaine s’ajoute aux tremblements de la terre et au déchaînement des eaux. C’est donc avec beaucoup de compassion et de respect pour les victimes de cette terrible catastrophe, en fait pour tout un peuple meurtri car aucun Japonais n’est sorti indemne de cette funeste journée, que nous effectuerons ce double séjour à la rencontre d’une littérature luxuriante, ancrée dans une tradition millénaire et qui a déjà fourni deux Prix Nobel que nous rencontrerons : Yasunari Kawabata (1968) et Kenzaburô Oé (1994). Pour accomplir notre voyage en terre nipponne, nous nous attacherons les services d’une femme de lettres, elles sont hélas beaucoup moins nombreuses que leurs homologues masculins, Sawako Ariyoshi qui nous guidera aussi vers l’un des pères de la littérature moderne japonaise : Yasushi Inoué. Ce premier séjour littéraire en hommage à ce peuple martyr honorera ainsi trois grands maîtres de cette littérature qui recevront donc notre hommage au nom de tous ces auteurs dans la peine ou le deuil.

Les années du crépuscule

Sawako Ariyoshi (1931 – 1984)

Dans les années soixante-dix, dans un quartier populaire de Tokyo, la grand-mère Tachibana décède brusquement, en rentrant de chez le coiffeur, laissant le grand-père désemparé et la famille surprise et embarrassée. Rapidement celle-ci se rend compte que le grand-père manifeste des signes inquiétants de sénilité, il ne reconnaît plus ses enfants mais seulement sa bru, la main qui le nourrit. Il fait des fugues et est pris, la nuit, de crises d’angoisse. Sa dépendance est de plus en plus importante et seule sa bru peut s’en occuper, elle délaisse un peu son emploi, cherche de multiples solutions pour le faire surveiller mais finalement c’est toujours elle qui doit intervenir au détriment de sa santé et de son travail.

Dans ce roman linéaire, précis et détaillé, parallèle à la courbe descendante de la santé mentale et physique du grand-père, Ariyoshi pose sans ambiguïté et avec une grande lucidité le problème des vieux dans la société japonaise des années soixante-dix, en plein boom économique. Elle constate que les vieux deviennent de plus en plus un handicap pour les familles et que même s’ils en ont conscience ce handicap est bien difficile à surmonter. « Moi non plus je ne demandais pas à vivre si longtemps mais, si je me suicide, on aura du mal à marier mes petits-enfants. »

Le vieillissement de la population est un sérieux problème pour la société, les vieux coûtent cher. Les jeunes ne veulent pas prendre le risque de perdre leur emploi, ou la possibilité d’être promus, à cause de parents encombrants. Et, chacun tremble à l’idée d’avoir un jour un aïeul à charge, ou de devenir soi-même un fardeau pour la famille. Ainsi, le père et la mère auscultent attentivement leur corps et paniquent à chaque petit signe de vieillissement, porter des lunettes devient un indicateur fort du début de la déchéance que le grand-père leur offre quotidiennement en spectacle. Ils prennent ainsi brutalement conscience des dégâts causés par l’âge et que le leur les conduit doucement vers cette décrépitude qui affecte le grand-père. L’angoisse de leur propre vieillesse qu’ils voient dans la déchéance du grand-père vient s’ajouter à la charge de travail causée par l’aïeul et à la douleur morale de voir son parent devenir sénile.

Dans cette douloureuse situation, l’auteur met aussi en évidence toute la charge qui retombe sur le dos des femmes dont le salaire n’est pas encore considéré comme un élément indispensable du revenu familial même s’il concourt sérieusement au niveau de vie de la famille. C’est la place de la femme dans la société japonaise qui est mise en cause, elle doit, en plus de son emploi, gérer les problèmes domestiques, y compris ceux qui affectent la belle-famille, sans pour autant obtenir la reconnaissance qu’elle mérite. Mais la maman Tachibana s’acquitte de sa mission avec résignation parce qu’il le faut bien mais aussi parce qu’elle à l’impression qu’elle sera peut-être bien traitée le moment venu si elle soigne bien son beau-père. « C’est peut-être idiot, mais j’ai l’impression que, si je m’occupe bien de ma belle-mère maintenant, je souffrirai moins plus tard. » dit sa voisine.

Mais progressivement, elle s’attache à ce vieillard qui ne l’a jamais aimée, et éprouve pour lui une certaine tendresse qui l’incite à l’accompagner vers la fin de sa vie avec une sorte d’amour filial et une réelle humanité. Ainsi ce livre sur la vieillesse et la fin de vie devient aussi une belle histoire de femme qui m’a remis en mémoire  Chemin de femmes, ce beau roman que Fumiko Enchi a consacré aux femmes japonaises. C’est aussi une réflexion sur la vie et son éphémérité, et sur la mort qu’il convient de relativiser. « Elle avait toujours pensé que la mort était l’épreuve la plus terrible dans la vie d’un être humain, mais maintenant elle savait que survivre pouvait être encore plus douloureux. »

Le maître de thé  de Yasushi Inoué  ( 1907 - 1991 )

Quand j’ai découvert ce livre, il y a une douzaine d’années, j’ai été impressionné par la ferveur avec laquelle le vénérable Inoué nous décrivait le service du thé ; comme s’il voulait nous montrer qu’au-delà de ce service, cette cérémonie avait une véritable dimension spirituelle qui confine au religieux. Elle apparaît ainsi comme une sorte de sacrifice que l’on pourrait rapprocher de l’eucharistie chez les catholiques.

Mais, ce livre, publié à l’extrême bout de la longue vie d’Inoué, est aussi une forme de testament que le vieux sage cherche à transmettre aux jeunes générations en essayant de leur faire comprendre que les rites ancestraux ont un sens et une signification spirituelle dont le Japon d’aujourd’hui, immergé dans le matérialisme le plus concret, a bien besoin pour assurer son avenir et garantir l’équilibre des jeunes générations menacées par les nouvelles valeurs importées dans les bagages des hommes d’affaires et des capitaines d’industrie.

M/T et l’histoire des merveilles de la forêt  de Kenzaburö Oé ( 1935 - ... )

Dans l’île de Shikoku, au cœur de la forêt, comme celle qui entourait le village natal de Kenzaburo Oé, peuplée de « merveilles » : forces terrifiantes, des fuyards, des bannis, fondent une société de rebelles. Toute une population de monstres et de géants qui ne savent plus s‘ils vivent ou s’ils rêvent, apparaissent et disparaissent, et accueillent un enfant mal formé, comme le fils que Kenzaburo dut lui aussi recevoir, stigmatisé de la marque fatale des merveilles.

Un roman très complexe où se mêlent l’histoire du village de l’auteur, le destin du fils handicapé qu’il a eu et une sorte de mythologie qu’il invente et qu’il relie aux anciennes traditions qui sanctifient les forces de la forêt. Quand j’ai lu ce livre j’ai eu l’impression qu’Oé cherchait à faire de ce fils particulier, un être issu tout droit de la mythologie locale, un être d’exception venu du monde des dieux pour apporter la lumière aux mortels. Un acte d’amour immense envers cet enfant handicapé mental qui devint un très grand compositeur. Un livre d’exception.

Tristesse et beauté  de  Yasunari Kawabata  ( 1879 - 1959 )

La veille du Jour de l’an, un célèbre écrivain se rend à Kyôto pour écouter les cloches des monastères en espérant en secret renouer avec une femme qui fut sa maîtresse vingt ans auparavant. Mais cette femme vit désormais avec une jeune et séduisante jeune fille au tempérament ardent qui ourdira un complot maléfique pour venger la maîtresse bafouée et dissuader à jamais le célèbre écrivain de tenter une quelconque relation avec son ancienne maîtresse.

Un livre d’une grande beauté qui célèbre la ville de Kyôto, c’était bien avant le tremblement de terre, ses magnifiques monuments, ses jardins, l’art, la littérature, la tradition japonaise mais avant tout qui interroge sur la solitude, la mort, l’amour et l’érotisme. Cet ouvrage prend une profondeur particulière quand on considère qu’il est la dernière œuvre achevée écrite par Kawabata avant de se donner la mort.

Denis BILLAMBOZ

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