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La fausse porte, Xavier Houssin, Stock

Par Irigoyen
La fausse porte, Xavier Houssin, Stock

 La fausse porte, Xavier Houssin, Stock

Dans Aden Arabie Paul Nizan écrit ces mots passés à la postérité : J'avais vingt ans. Je ne laisserai jamais personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Celui qui coïncide avec l’entrée en sixième n'est pas enviable non plus, à lire le dernier livre de Xavier Houssin. Pour le narrateur de « La fausse porte », le passage du primaire au secondaire, qui plus est dans un nouvel établissement, est une rupture douloureuse.

Le garçon grandit dans la France des années soixante. Il est question d'un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent presque pas imaginer. Pas d'ordinateur, pas de téléphone portable, pas de course permanente contre la montre. La vie de ce jeune narrateur semble s'écouler paisiblement, du moins dans les premières années.

Sa vie se déroule à quelques kilomètres seulement de Paris. Et pourtant, il semble y avoir un monde avec la capitale. Y aller est déjà en soi une équipée. D’autant que la maman du narrateur n’a personne pour l’aider. L'enfant, pendant ce temps, absorbe tout.

Rien ne lui échappe, à commencer par les Descroix, Emilien et Emilienne, ses voisins qui, parce qu'ils se connaissent sans doute depuis toujours, se servent du « Mi'en » ou « Mi'enne » comme pour écourter encore plus des conversations déjà brèves. Et tout cela renforce le silence qui n’est pas le seul à remplir l’espace :

Des photos de mariés posées sur le buffet, une fleur dans un globe, une statue en couleurs de sainte Thérèse, une croix sur le cœur et des roses dans les bras. Leur chambre était à l’étage. La porte de l’escalier restait fermée à clef. Je ne vais plus là-bas. J’ai grandi maintenant. Je peux rester sans personne. Je n’étais pas si bien pour dire la vérité. Il faisait toujours chaud. Ça ne sentait pas très bon. Mme Descroix faisait cuire ensuite du mou avec des carottes. Comme ils n’avaient pas de chat, je crois qu’ils en mangeaient. Souvent, M. Descroix voulait que je lui lise le feuilleton du journal. Et tu y mets le ton… Il se servait un verre de vin rouge et puis il s’asseyait. C’étaient de drôles d’histoires.

La ville où grandit le narrateur, c'est Senlis.

Les ouvriers en creusant des tranchées avaient mis au jour un cimetière en entier. Des sarcophages mérovingiens. Il s’en trouve partout chez nous, des nécropoles. Sous Senlis court un réseau de caves, de souterrains.

Senlis porte les marques de la grande Histoire à laquelle se superpose celle du narrateur. Cette ville est le théâtre de son éclosion, de la construction de sa personnalité. Une porte d'entrée ouvrant sur le monde adulte.

La Fausse porte est une ouverture dans le vieux rempart qui date du temps des Romains. Maman m’a raconté. On ne dit pas qu’elle est fausse parce qu’elle n’existe pas. Mais parce que ce n’est pas la grande porte, la porte principale. Par la Fausse Porte, on pouvait entrer en ville tard le soir ou la nuit. Il suffisait de dire son nom. De se faire reconnaître. D’expliquer simplement que l’on rentrait chez soi.

Hormis Senlis et Paris occasionnellement, il y a aussi Roubaix, le temps des vacances, pour voir la famille. D'un coup, elle s'agrandit alors qu'en temps normal elle se résume à deux entités. Le père du narrateur, un militaire, vit ailleurs. Quand il réapparaît c'est pour mieux disparaître la phrase suivante :

François, c'est le nom de mon père. Il ne vient plus nous voir depuis très très longtemps.

Il y a dans ce livre une douce nostalgie qui ne cherche pas la compassion. Avec la dignité de celui qui a sans doute souffert en silence le narrateur dit les choses comme il les vit, les ressent.

J'ai lu « La fausse porte » comme un Bildungsroman, un roman d’apprentissage. Apprentissage précoce et rapide. Le narrateur comprend en effet très tôt qu’il va falloir élargir l’horizon, c’est-à-dire voir au-delà de sa mère. Cette démarche, aussi salutaire soit-elle est cruelle en même temps.

Il y a d'ailleurs un passage magnifique sur cet enfant qui n'arrive pas à dormir à cause de son asthme. La maman dort à côté, n'entendant pas ses bronches qui sifflent. Il n'ira pourtant pas la réveiller alors qu'on sent le cruel besoin d’une présence rassurante.

Cette quête d'un ailleurs passe aussi par l'expérience de l'amitié. Avec Régis, un temps son meilleur compagnon, elle s'arrêtera précisément à l'entrée en sixième.

Et puis, il y a les premiers émois suscités par la présence d'une cousine :

Françoise, cette année, entre en apprentissage. On ne se voit plus beaucoup. Ça me laisse une peine douce. Françoise. Je m’étais dit là-bas que, quand je serais grand, je pourrais l’épouser. Maman avait souri. N’y pense pas. Elle est cinq ans plus vieille et puis, entre cousins, on ne se marie pas.

Quelque temps plus tard, l'éveil amoureux se poursuivra à Morzine, lors d'un voyage en classe de neige.

C'est donc l'ouverture progressive au monde d'un enfant qui nous est contée ici. Xavier Houssin veut en décrire la moindre manifestation. Gourmand de tout, son narrateur se délecte alors de ce qu'il entend, ce qu'il voit. Il construit son univers.

Je connais le nom des arbres, le nom des plantes, le nom des arbres, le nom des plantes, le nom des bêtes. Je ne sais pas bien comment j’ai eu envie, mais c’était important. Il en existe tant que je ne saurai jamais tout. J’apprends les mots et tout ce qui m’entoure se met à exister.

Cela donne lieu à de petits tableaux impressionnistes qui sont autant d'hommage à une France septentrionale.

Près du canal du Nord, où passent des péniches. Les mariniers nous font de grands bonjours. Nous partageons le café au lait de la thermos, le sandwich au fromage, le sandwich au jambon. Un jour nous marcherons ensemble. Par la route, nous aurons tout le temps.

Sandwich au jambon ici, confiture là. L'auteur donne à sentir. Un peu plus tard ce sera un autre parfum, qu'on devine moins agréable, dans la bouche du narrateur :

La cuisine ce matin a pris l’odeur de mon nouveau cartable.

Xavier Houssin prend la main de son lecteur, lui rappelle la candeur de l'enfance. Et pour que ce voyage puisse s'accomplir il en étire les meilleurs souvenirs. En résulte une belle lenteur, ce qui est étonnant car les phrases sont souvent courtes.

Mais ce bonheur ne s'éternisera pas. Bientôt, cette enfance – comme bien d'autres avant - va être engloutie.

Au Tombray, ce vallon où commence la forêt, se creusait autrefois une grande sablière. Des enfants, en jouant, sont tombés dans une fondrière. Ils sont morts ensevelis.

Dès le changement d'établissement, les mots changent, il s'assombrissent. La perception de la réalité n'est plus la même.

La route n’en finit pas. A mesure qu’on approche, le temps va vers l’ennui.

L'école est maintenant synonyme de discipline imbécile, de compétition – notamment avec un certain Jean-Louis Aubert, fils de sous-préfet qui obtient toujours des prix -. Régis, que croise le narrateur, n'est décidément plus l'ami d'avant :

Dans un ou deux ans, j’en suis sûr, nous ne nous reconnaîtrons pas.

Les résultats scolaires se mettent à baisser. Les sermons se multiplient :

Se laisser aller à la paresse engendre bien des fautes. Votre âme est en danger. Le mensonge, l’impureté la guettent, la menacent. Il vous faut prier et retrouver l’effort.

S'ensuivront des passages bouleversants sur l'inquiétude de l'enfant face à sa mèrae qui parle de le mettre en pension afin de lui faire retrouver le chemin de la réussite.

Mais j'en ai assez dit sur ce livre d'un auteur qu'il m'arrive de croiser occasionnellement dans l'émission « Jeux d'épreuves » sur France Culture. N'allez pas en conclure que cela m'interdirait tout jugement négatif. La camaraderie doit tolérer la franchise.

J'imagine que ce qui suit pourrait paraître prétentieux. Pourtant, il n'en est rien. En lisant chaque mot de ce roman, j'ai entendu la voix de Xavier Houssin, comme si elle ne s'adressait qu'à moi. Pourtant, nous ne sommes pas amis. Nous ne sommes pas proches. Mais en faisant l'émouvant portrait de ce narrateur qui – j'imagine est très autobiographique - il a fait converser l'enfant qu'il était avec celui que j'étais, dans un contexte et un lieu pourtant bien différents.

Qu'un tel dialogue, silencieux, s'ouvre entre un écrivain et un lecteur n'est-il pas une preuve évidente que le livre est réussi ? 


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