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Dynamite

Publié le 28 mars 2011 par Les Lettres Françaises

Dynamite

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Le 1er mai 1886, à Chicago, au cours d’un rassemblement pour la journée de huit heures, une bombe lancée depuis la foule tua plusieurs spectateurs et quelques policiers. August Spies, éditeur de l’Arbeiter Zeitung, journal anarchiste, fut arrêté avec sept de ses camarades. Dans l’adresse qu’il lança à la cour, il plaça cet avertissement : « Le mandat des seigneurs féodaux de notre temps repose sur l’esclavage, l’affamement et la mort ! Cela a constitué leur programme de ces dernières années. Nous avons dit aux travailleurs que la science a pénétré le mystère de la nature – et que de la tête de Jupiter est sortie une nouvelle Minerve – la dynamite ! ». Spies fut condamné à mort et exécuté, six mois plus tard, sans l’ombre d’une preuve. Dans la brève autobiographie qu’il rédigea en prison, à l’ombre de la potence, il expliqua son parcours depuis le pays de Luther et de Marx jusqu’au nouveau monde, où il était arrivé en 1872, avec tant d’autres : « ces anarchistes barbares, sauvages, analphabètes et ignorants venus d’Europe Centrale, des hommes qui ne peuvent comprendre l’esprit de liberté de nos institutions américaine »…

Quarante ans plus tard, lorsque Louis Adamic posa le pied sur le sol américain, il aurait pu reprendre ces mots de Spies et ajouter comme lui, immédiatement : « je suis de ceux-là ». Originaire de Slovénie, il exerça une multitude de métiers avant de publier cette histoire du syndicalisme américain en 1931, c’est-à-dire au lendemain de sa défaite, qu’il intitula : « Dynamite ».

L’explosif avait réuni les anarchistes, les syndicats radicaux et même les bandits de grand chemin qui s’en servaient pour briser les coffres-forts des banques. Au sortir de la première guerre mondiale, les partisans de l’action directe avaient été réduits au silence (Spies, sur l’échafaud, lança à ses bourreaux : « Le jour viendra où notre silence sera plus fort que les voix que vous essayez d’étouffer aujourd’hui »), les hors-la-loi avaient cédé la place au crime organisé, et les syndicats révolutionnaires, en tête desquels l’International Workers of the World (IWW), ne pesaient plus grand chose face aux centrales réformistes qui se dépêchèrent d’abandonner la lutte des classes au profit d’une lutte pour des parts de marché.

En juin 1994, dans la revue Polar, Jean-Patrick Manchette, dans un effort pour brosser un tableau des conditions historiques d’apparition du polar américain, « roman de la vie sous la contre-révolution », notait : « A New York comme à Chicago, le maire, le procureur, la direction de la police et les chefs de gangs forment une amicale communauté d’intérêts. (…) Et naturellement ils en empruntent les méthodes quand il s’agit d’étendre leur influence et de faire valoir leurs intérêts particuliers. L’ouvrage essentiel sur la question est malheureusement introuvable : il s’agit de Dynamite, de Louis Adamic ».

L’ouvrage est désormais disponible, grâce aux éditions Sao Mai qui l’ont traduit de l’anglais. « On y voit lumineusement comment le syndicalisme américain s’est transformé en syndicalisme criminel quand la possibilité de la révolution a disparu et quand, par conséquent, la question n’a plus été celle que des fameuses « parts du gâteau », continuait Manchette. « On y voit comment des militants ouvriers radicaux ont pu devenir racketters et bootleggers, puisqu’il n’y avait plus d’autre moyen de jouir. »

C’est cette histoire qu’Adamic a chroniquée fidèlement : les premières tentatives pour unir tous les travailleurs dès la fin de la Guerre de Sécession, l’opposition fondatrice entre syndicalisme industriel et les guildes corporatistes (trade unionism vs. craft unionism), les luttes pour la liberté de parole, puis la grande répression qui mena à la disparition des forces révolutionnaires américaines à l’orée de la Seconde Guerre mondiale et le ralliement des réformistes à l’économie de marché. C’est une histoire jonchée de cadavres et de fantômes, ceux de Spies, de Frank Little, Joe Hill, Sacco, Vanzetti, Wesley Everest

Aux Etats-Unis, au sommet de la récente crise économique, le puissant United Auto Workers (UAW) se retrouva en possession de 20% du capital de General Motors, premier constructeur automobile mondial, pour compenser le financement des retraites des anciens salariés par l’entreprise. Le syndicat espère aujourd’hui négocier sa présence au conseil d’administration. « Nous sommes attachés au succès des entreprises qui emploient ceux que nous représentons », déclarait Bob King, le président de l’UAW, le 5 janvier 2011. « Plus les employés auront voix au chapitre dans tous les aspects de leur travail, plus grand sera le succès des employeurs ».

Sébastien Banse

Dynamite ! : un siècle de violence de classe en Amérique (1830-1930)
Louis Adamic, notes et notice de Lac-Han-tse et Laurent Zaiche
Octobre 2010, 15,00 EUR, 476 p.


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