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Poésies premières et Boustrophes, de Philippe Beck (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé


Beck, poesies Après le dépôt de bilan de 2006, un grand nombre d’ouvrages des éditions Al Dante est introuvable, sinon chez quelques soldeurs comme Mona Lisait à Paris, introuvables, hélas, les ABC de la barbarie de Jacques-Henri Michot, ou l’Anthologie de Haroldo de Campos etc. (Hélas…) Introuvables, mêmement, les livres que Philippe Beck y a publié1. Deux d’entre eux, Chambre à roman fusible et Rude merveilleux sont repris dans cette hétéro-anthologie (car l’anthologie n’est pas, Philippe Beck le souligne, son initiative), ainsi qu’Inciseiv (publié une première fois aux éditions MeMo, en 2000), et donnent l’occasion à l’auteur, du fait de la distance éditoriale, de faire le point sur sa poétique, de « préciser certains éléments sur nos conceptions de la littérature et de la publication », également d’élaborer un adieu au prosimètre dans une postface précise et documentée (de facto, un historique de cette technique formelle qui consiste en l’alternance du vers et de la prose dans un même ensemble), technique formelle qu’il a pensée comme mime de l’alternance du bonheur et du malheur.  
 
Réfléchir la langue extérieure sur sa propre langue pour réfléchir sur la langue fait de Philippe Beck un poète dense. La densité n’est pas une bénédiction orphéique, mais un travail du merveilleux sur la rudesse séculaire, la poésie de Philippe Beck apparaît comme un exercice de son temps (au sens employé par Robert Angot de l’Éperonnière, d’observations des habitudes du monde sur le mode critique, voire satirique), et le poète considère le poème comme « engin de captation du monde sans merveilleux ». Dans l’obscur de la langue possiblement peut se retrouver le merveilleux : « Si l’obscurité est poésie, alors/la poésie n’est pas obscurité,/elle ne picore pas » Le dense se dit d’un ouvrage de l’esprit bref (les vers ou les phrases de prose sont brefs, et secs) et plein, et dru. L’œuvre est difficile d’accès ? : « Je dirai ceci : que ceux qui savent ce qu’est/la simplicité acceptent ce qui précèdent », et tout ce qui suit. Néologismes, coq-à-l’âne, bondissements sémantiques, mots en figures allégoriques, référents (apparemment) zéro constituent l’étrangeté de ce poète très attentif au contexte de son époque, qu’il pense en ce qu’il qualifie de « monologue extérieur », on pourrait remarquer un aspect joueur (« Alors sans je-je ni patatras ») avec l’énigmatique du monde. Poésie pensée musicalement, poésie philosophie (« J’appelle philosophie/l’art d’être dans la poésie/et d’avoir en poésie/beaucoup d’impersonnalité »), poésie re-pensée d’elle-même (les livres de Philippe Beck forment une vaste méta-poétique).  
 
Beck, boustrophes Cet art de la pensée du rythme prosodique, il le développe dans un mince ouvrage, Boustrophes, en vingt variations (sans aucune prose) et un instructif (et didactique) avertissement qui prépare à leur lecture (on ne manquera pas de relier la postface de Poésies premières à l’avertissement de Boustrophes), où est pensé « le thème fondamental du vers, mouvement laborieux et réglé d’un corps dans l’espace (main ou stylet musculaire) – corps tournant et récurrent de l’animal modèle chanté en prose par Buffon et, en poésie, par le bien nommé Rutebeuf, descendant du lyrique objectif Archiloque. » Les poèmes sont les exempla de l’avertissement (ingénieusement imprimé à part en in-4°). Ce rythme du retour inlassable et obstiné tel un rude bœuf (émerveillé), Philippe Beck le définit « boustrophe » ; ce qui est interrogé, est la linéarité ou non de la pensée, quelle musicalité pour la pensée ? Creuser la métaphore du sillon-page pour se rémerveiller l’œil ? (Non sans humour). Philippe Beck use abondamment du préfixe « re- », en tant qu’éternel  recommencement de la question du vers se retournant sur lui-même pour aller à la ligne. 
 
Variation XIII 
Je veux parler du Bœuf médusé. 
Il est renversé. 
Un mobilier impressionné. 
Il s’appelle un poète ? 
Question. 
Silhouette nourrit 
les vers à soie de Passé. 
Et Passé éprouve un besoin hérité 
de retourner 
la terre versée en l’absence 
de Paysan Dominant. 
Car absence est ici 
présence concentrée et déléguée. 
Terre est posée en tournant  
sur la Sphère. 
Charrue d’époque, racadémique, commande 
le discours du Bœuf Peuplé. 
(…) 
 
Au rythme du cœur pensant bat le poème, émotion distanciée (« Emotion universelle de la personne »), faisant émerger un lyrisme très critique de lui-même pour sa réinvention perpétuelle, le danger du lyrisme étant l’autosatisfaction bien asseyante que rejette Philippe Beck pour tendre vers un nouvel horizon pensif. 
 
Jean-Pascal Dubost 
 
Philippe Beck 
Poésies premières (1997-2000) 
Flammarion (19 €) 

Boustrophes 
Editor Pack (15 €)  
 
[1]. Chambre à roman fusible (1997), Verre de l’époque sur-Eddy (1997), Rude merveilleux (1998), Le Fermé de l’époque (1999), Déductions (2005). 


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