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Je suis devenu agoraphobe

Publié le 08 février 2011 par Alteroueb

Tenir un blog, c’est magique. C’est une fenêtre qui s’ouvre sur le monde, et dans les 2 sens. Echanger sans cesse, parler des autres, se nourrir de leurs réflexions sont bien le crédo qui manque à nos sociétés individualistes et stressées. Depuis longtemps, j’avais ce besoin d’écrire et d’aborder des sujets aussi variés que l’actualité politique, les faits de société, ma passion de l’informatique qui est aussi mon métier.

Je mesure chaque jour ma chance de pouvoir exercer un métier fabuleux, que j’ai choisi. Cela fait presque 20 ans que ça dure, et l’évolution, les révolutions même, ne m’ont jamais fait peur, au contraire. Par contre, ce qui me tracasse et m’effraie aujourd’hui, ce sont les conditions dans lesquelles je l’exerce en tant que petit fonctionnaire dans un grand ministère régalien. Après une fusion de directions et services, quelques restructurations et une réduction «exemplaire» de personnel, pas de doute, la cabane ne peut que tomber sur le chien.

Je suis devenu agoraphobeLes exemples de déliquescence de mon administration, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP), ne manquent pas. Le dernier en date est la généralisation d’une application de gestion des «ressources humaines» nommée AGORA. L’objectif, selon un article paru en mars 2005, est de «répondre à l’exigence de productivité fixée par la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), ainsi qu’au contrat triennal de performance avec le Budget». Le problème est que désormais, pour poser une journée de congé avec cet outil, il faut, au minimum, 20 minutes quand on a de la chance, quand l’application daigne répondre. Le summum est que pour consulter son compteur de temps, il faut attendre le lendemain, puis patienter au bas mot 20 nouvelles minutes, pour constater qu’il faut encore attendre… Au gré d’aléatoires traitements, une opération peut ainsi végéter quelques semaines. Mon compte traine une anomalie depuis le 20 janvier… Je n’aime pas AGORA.

Pas de doutes, la productivité et la performance sont au rendez-vous : ce qui me prenait auparavant 2 minutes tout les 15 jours m’occupe maintenant une demi-heure par jour. Le tout bien pesé, bien emballé pour 30 millions d’euros, rien que cela, pour une application, écrite par une SSII du privé, qui ne sait pas faire un simple calcul en temps réel… A force d’avoir fait exploser l’organigramme, d’avoir multiplié les couches décisionnelles et dilué la moindre responsabilité, les gens aux manettes ont perdu le contact avec le terrain, avec l’essence même de la mission. Il en résulte de monstrueux gaspillages, des choix irresponsables et des absurdités sans nom. En fait, les principales difficultés, oserais-je dire le sabotage, vient de la haute hiérarchie elle-même. Le comble est que leurs auteurs finissent bien souvent avec de mirobolantes promotions. Je pense bien que c’est dans ces hautes strates que les vraies économies sont à faire.

A propos de stratosphère, je viens de jeter rapidement un oeil à un rapport parlementaire sur notre direction, rendu public tout début janvier. Il y a 148 pages, du plus pur style administratif hautement supérieur, mais qui contient quelques pépites que je vous livre ici :

page 18 :

S’il semble que des gains de productivité soient encore possibles sur des fonctions support, back office ou des niches en procédant à des actions de reengineering de chaînes métiers éventuellement accompagnées d’évolution réglementaire, la suppression annuelle, systématique, de 2 500 ETPT (Equivalents Temps Plein Travaillé, NDLR) commence à poser problème. Pour le Rapporteur spécial, la DGFiP doit se préoccuper des conditions de travail et du climat interne pour éviter de créer un syndrome France Télécom.

page 19 :

L’effet vertigineux de la diminution incessante des effectifs est renforcé la perspective annoncée de poursuivre cette démarche sur les trois années à venir afin de parvenir à une suppression de 100.000 postes dans la fonction publique sur la période 2011-2013. Des efforts seront encore exigés de la DGFiP, mais où pourra-t-elle le faire porter et aura-t-elle le temps d’enregistrer de nouveaux gains de productivité ? Depuis 2006, la croissance de la catégorie A+ (les grands chef, NDLR) de plus d’environ 47 %contraste avec la réduction de plus de 20 % de la catégorie C (les manoeuvres, NDLR). Les gains de productivité dont témoigne ce mouvement régulier de réduction des effectifs du programme ont libéré des agents de la catégorie C mais ont suscité la création de postes de catégorie A+, sans doute liées au dimensionnement des nouvelles structures qui modifient l’étendue des responsabilités. Le niveau de rémunération des agents A+ n’a pas, en parallèle, conduit à une réduction des dépenses de personnel. La DGFiP est devenue une administration moins nombreuse, sans doute plus compétente, mais pas moins «coûteuse». Le Rapporteur spécial souligne que cette réduction des effectifs qui portera en 2011 sur la seule catégorie C et son impact sur le schéma d’emplois vont permettre une économie estimée à 122,2 millions d’euros.

page 22 :

La DGFiP se surpasse encore dans l’application de la règle du non remplacement d’un agent sur deux partant à la retraite.

Sur le contrôle fiscal, page 44 :

La Cour constate que la DGFiP a donné la priorité aux objectifs de rendement (nombre de contrôles et montants à recouvrer) orientant ainsi les contrôles vers les dossiers les plus faciles et délaissant les dossiers plus complexes qui obligent à des enquêtes longues. Cette orientation a pour effet de rendre la couverture des contrôles inégale sur certaines catégories de contribuables et de dispositifs fiscaux et sur certaines zones géographiques.

Il n’y a là aucun parti-pris ou de mauvaise foi de ma part. Je n’ai rien inventé. Il n’y a plus que des chefs dans cette maison, des «yaka», des «fokon». Les petites mains s’épuisent, en prise avec des charges de travail insensées, des outils inadaptés et une pression hiérarchique omniprésente et oppressante. L’état des lieux dressé par nos représentants est accablant. Au moins aux Finances, les dysfonctionnements constatés, engendrés par les restrictions de moyens et l’abandon des petits fonctionnaires ne risquent pas de remettre en circulation de dangereux criminels. Le grand redresseur de torts peut continuer à gesticuler et à réclamer des sanctions, sa responsabilité et celle de ses amis est totale et dramatique. Je n’ai même plus envie d’en débattre, tellement je suis écoeuré.

Avec pleins de barreurs, sans rameur, on ne va nulle part.


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