Interview de Michel BALAT par Laura GRIGNOLI
Pescara, le 02 11 2009
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M. B. : Dans un premier temps à Château Rauzé, il avait été décidé que lorsqu'un blessé végétatif se mettait tout à coup à transpirer, — ce que l'on appelle une crise végétative, — c'était en réponse à quelque chose qui se passait, un signe.
L. G. : Il y a des moments particuliers ?
M. B. : Voilà, ce n'était pas n'importe quand qu'il faisait une crise végétative, et on peut dire que là on a les rudiments d'un langage. Puis, à partir de là, on a commencé à regarder sur le corps du végétatif tout ce qui pouvait à moment donné apparaître comme des éléments d'un langage. C'était rudimentaire comme façon d'aborder les choses, puisque là nous avions tout simplement à faire des distinctions de certains états. Distinctions et répétitions. Voilà, ça, c'était le point qui nous intéressait. Comme dès cette époque-là on avait aussi en tête la question de l'espace tonal, on disait voilà, ça, se sont des tonalités mais des tonalités propres à un langage. C'est quelque chose qu'on repère très bien avec une mère et un bébé, sans aller dans ces états terribles qui nous mettent mal, une mère apprends le langage de son bébé en le regardant ou en le voyant vivre, c'est-à-dire qu'elle va apprendre des choses qui se distinguent dans ces états et ce qu'il est capable de répéter. Il me semble que c'est autour de ça que se constitue la notion de langue. Ces distinctions apparaissent dans l'espace tonal. L'espace tonal c'est intéressant comme notion, parce que évidemment on pourrait dire atmosphère… plein de termes existent, mais espace tonal c'est plus spécifique justement parce que c'est relié à cet aspect langagier. L'atmosphère, non ; dans l'atmosphère on a l'idée de quelque chose qui se passe entre les gens, mais là on est dans quelque chose de plus particulier, et on pourrait dire que dans l'espace tonal du bébé apparaissent des distinctions et des répétitions.
C'était un premier temps, mais il me semble que c'est un temps qu'on peut généraliser à des tas de situations, et d'ailleurs même alors le silence, le silence est langagier, un silence en puissance de parole, un silence…
L. G. : Silencio morso….
M. B. : Là est apparue cette idée, ce concept, le musement. Le musement, c'est quoi ? Par exemple, je ne fais rien du tout, je ne pense à rien, vide, vaguement endormi, je n'ai pas l'impression de sentir, de penser quoi que ce soit, et tout à coup quelque chose arrive, soit à l'occasion d'un bruit extérieur, quelqu'un qui rentre, une présence qui s'impose, tout à coup je me dis « ah tiens, j'étais en train de penser à »…
L. G. : Ah oui…
M. B. : « J'étais en train de penser à quelque chose », alors je peux parfois arriver à saisir ça, et en disant « je pensais ça mais juste avant je pensais encore ça », et en remontant on peut saisir, sur un certain temps, tout un système de pensées qu'on avait eues sans le savoir, voilà, sans le savoir. C'est pour ça que je trouve le concept de musement plus pertinent que celui de flux de conscience ou autre, parce que la conscience, la conscience, elle n'y est pas, je ne peux que reconstituer, car dans le moment où je pensais ça il n'y avait personne pour dire que je pensais ça ; c'est à l'occasion d'un événement, un peu au hasard, qu'alors je peux me rendre compte que j'avais pensé ces choses-là.
L. G. : Mais peut-être quand on dit le flux de conscience on peut dire seulement que la pensée c'est toujours en travail, au travail. Peut-être on n'entend pas, je pense, mais dans ce moment qu'on ne pense pas qu'on est conscient de ce qu'on pense vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
M. B. : Voilà.
L. G. : Et donc, oui, c'est un paradoxe, on ne peut dire pas d'être conscient de ce qu'il pense, parce que quand on pense le conscient, on pense avec le langage de la langue originelle.
M. B. : Avec la langue, voilà, oui. Mais justement ce paradoxe, c'est un paradoxe qui avait été soulevé largement par Freud dans Métapsychologie, par exemple, dans tout le chapitre sur l'inconscient, il dit ça, il dit : faut-il aller jusqu'à dire qu'il peut y avoir une conscience qui n'est pas consciente à elle-même. Pourquoi employer le mot conscience à ce moment-là, et se mettre devant le paradoxe d'une conscience inconsciente. Alors le musement a pris ensuite un développement plus important avec l'idée d'un musement feuilleté.
L. G. : Comment tu as dit, feuilleté ?
M. B. : Avec des feuilles, folio.
L. G. : Oui.
M. B. : Un feuilletage.
L. G. : La pâte feuilletée.
M. B. : La pâte feuilletée, voilà, un feuilletage, et au fond sur chaque feuille il y aurait un système associatif de pensées…
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