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L'écume des jours (Vian)

Par Hiram33

ecumedes

L’écume des jours

Avant-propos

Dans la vie, l’essentiel est de porter, sur tout des jugements a priori. Il apparaît en effet que les masses ont tort, et les individus toujours raison. Il y a seulement deux choses : c’est l’amour, de toues les façons, avec des jolies filles, et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington.

I

Colin terminait sa toilette. Dans la glace, on pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen. Il avait la tête ronde, les oreilles petites, le nez droit, le teint doré. Il souriait souvent et, à force, cela lui avait fait venir une fossette au menton. Il était assez grand, mince, avec de longues jambes, et très très gentil. Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait. Il sortit de la salle de bains et se dirigea vers la cuisine afin de surveiller les derniers préparatifs du repas. Il avait invité à dîner, son camarade Chick, qui habitait tout près. On n’était encore que samedi, mais Colin se sentait l’envie de voir Chick et de lui faire goûter le menu élaboré par Nicolas, son nouveau cuisinier. Chick était aussi célibataire. Il avait le même âge que Colin, 22 ans. Colin possédait une fortune suffisante pour vivre convenablement sans travailler pour les autres Chick devait aller tous les huit jours au ministère voir son oncle et lui emprunter de l’argent car son métier d’ingénieur ne lui rapportait pas de quoi se maintenir au niveau des ouvriers qu’il commandait. Il y avait des souris chez Colin. Le cuisinier les nourrissait très bien sans les laisser grossir trop. Nicolas avait préparé une dinde et en entrée un pâté d’anguilles inspiré du « Livre de cuisine » de Gauffé. Colin alla dans le salon qui prenait jour sur l »avenue Louis Armstrong. Colin prépara la table. Il y déposa le couvert et un surtout formé d’un bocal de formol à l’intérieur duquel deux embryons de poulet semblaient mimer le Spectre de la Rose, dans la chorégraphie de Nijinsky. Chick arriva. Il ne connaissait pas Gauffé quand Colin lui en parla. Chick ne lisait pas grand chose en dehors de Jean-Sol Partre. Il connaissait la nièce de Nicolas. C’était Alise. Elle avait fait des études de philosophie. Colin proposa un apéritif à Chick. Colin avait un pianocktail qui lui permettait de composer des coktails à partir de notes de piano faisant penser à l’orgue à bouche de Des Esseintes dans « A rebours ». Chick se mit au pinao. A la fin de l’air « Loveless love » de W. C. Handy, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres.

II

Chick voulut savoir ce qui avait donné à Colin l’idée du pâté d’anguilles. Colin répondit que Nicolas avait vu une anguille qui venait tous les jours dans son lavabo par la conduite d’eau froide. Elle passait la tête et vidait le tube de pâte dentifrice en appuyant dessus avec ses dents. Chick parla d’Alise. Il l’avait rencontrée à une conférence  de Jean-Sol. Il lui avait demandé si elle aimait Jean-Sol Partre et elle lui avait dit qu’elle faisait collection de ses oeuvres. A chaque fois qu’il disait quelque chose, elle répondait : moi aussi... Alors à la fin, juste pour faire une expérience existentialiste, il lui avait dit : je vous aime beaucoup, et elle avait dit : oh ! Il devait aller patiner avec elle le lendemain et proposa à Colin de venir.

III

Ils allèrent à la piscine-patinoire Molitor. Un homme à chandail blanc ouvrit à Colin une cabine. Colin remarqua que l’homme n’avait pas une tête d’homme, mais de pigeon, et ne comprit pas pourquoi on l’avait affecté au service de la patinoire plutôt qu’à celui de la piscine. Colin enleva ses chaussures et s’aperçut que les semelles étaient parties alors il les disposa dans une petite mare qui s’était formée sous la banquette de ciment et les arosa d’engrais concentré afin que le cuir repousse. Il alla à la patinoire et vit une patineuse qui, à la fin d’un magnifique grand-aigle, venait de laisser tomber un gros oeuf qui se brisa contre les pieds de Colin. Il vit Alise et Chick et vint vers eux sans tenir compte du sens giratoire; il en résulta la formation rapide d’un considérable amas de protestants. Le soleil ayant fait fondre la surface, ça clapotait en dessous du tas. Chick, reconnaissait Colin à ses patins bifides, l’extirpa de l’ensemble en le saisissant par les chevilles. Chick présenta Alise à Colin. Alise avait des cheveux blonds extraordinairement touffus, encadrant son visage d’une masse frisée serré. Des valets-nettoyeurs éliminèrent le total des patineurs allongés et fonçaient vers le trou à raclures en chantant l’hymne de Molitor, composé en 1709 par Vaillant-Couturier. Colin demanda à Chick s’il avait trouvé des anguilles chez lui mais Chick n’avait trouvé que des truites. Alise avait un père agrégé de mathématiques et professeur au Collège de France. Alise dit que c’était lamentable à 38 ans. Colin proposa à Chick et à Alise de manger chez lui mais Chick avait peur qu’il séduise son amie.

IV

Nicolas et Isis arrivèrent. Colin présenta Isis à Alis. Elle avait 18 ans, avait des cheveux châtains et était jolie. Isis invita Colin chez elle pour fêter l’anniversaire de Dupont, son chien.

V

Colin se hâtait par les rues lumineuses. Il pensait à l’invitation d’Isis. Ses parents étaient les Ponteauzanne. Il se baissa pour cueillir une orchidée bleue et rose que le gel avait fait sortir de terre. Il pensait aussi à Alise mais elle appartenait à Chick.

VI

Nicolas parlait toujours de Colin à la troisième personne et Colin voulut savoir pourquoi. Nicolas répondit que c’était parce qu’ils n’avaient pas gardé les barrières ensemble. Mais Nicolas portait à Colin une sincère quoique dissimulée, affection. Nicolas préparait un andouillon des îles au porto musqué. Colin demanda à Nicolas s’il connaissait une danse appelée le biglemoi mais Nicolas en était resté au déboîté style Boissière et à la tramontane. Il  ne connaissait que quelques rudiments du biglemoi mais accepta de les enseigner à Colin.

VII

Nicolas dit à Colin que le principe du biglemoi reposait sur la production d’interférences par deux sources animées d’un mouvement oscillatoire rigoureusement synchrone. Le danseur et la danseuse se tenaient à une distance assez petite l’un de l’autre et mettaient leur corps en ondulation suivant le rythme de la musique.

VIII

Colin demanda à Nicolas pourquoi on prenait un air si lent. Nicolas dit qu’en principe, le danseur et la danseuse se tenaient à une distance moyenne l’un de l’autre. Avec un air lent, on pouvait arriver à régler l’ondulation de telle sorte que le foyer fixe se trouvait à mi-hauteur des partenaires : la tête et les pieds étaient alors mobiles. Des personnes peu scrupuleuses s’étaient mises à danser le biglemoi à la façon des Noirs, sur tempo rapide. Sur un boogie, l’effet était d’autant plus obscène que l’air était obsédant en général. C’était la nièce de Nicolas qui lui avait appris le biglemoi.

IX

Colin voulait encore danser avec Nicolas mais son cuisinier avait des affaires à régler. Il était président du Cercle philosophique des Gens de Maison de l’arrondissement. Il devait y parler de l’engagement. Un parallèle était établi entre l’engagement d’après les théories de Partre, l’engagement ou le rengagement dans les troupes coloniales et l’engagement ou prise à gages des gens dits de maison par les particuliers. Colin voulut savoir s’il devait rencontrer l’âme soeur le jour même. Une âme soeur comme Alise. Mais Nicolas lui rappela qu’Alise était avec Chick.

X

Colin était dans la salle de bains. Il parlait à une souris. Il lui dit qu’il pourrait rencontrer chez les Ponteauzanne son vieil ami Chose. La souris acquiesça. Si Chose avait une cousine, elle s’appellerait Onésine. En sortant, Colin se prit les pieds dans une tringle nickelée et se mélangea à la rampe. Dehors, Colin vit deux terrassiers qui jouaient à la marelle. Pour palet, ils servaient d’un crucifix peint en rouge auquel il manquait la croix.

XI

Colin suivit deux filles qui allaient chez les parents d’Isis. Il embrassa Isis et lui souhaita un bon anniversaire alors que c’était celui de son chien qui était parti avec ses amis. Il allait sûrement revenir dans un état affreux. Isis emmena Colin dans sa chambre où se trouvaient des crochets de boucher et pour faire joli deux têtes de mouton écorchées. Alise et Chick étaient déjà là. Isis présenta Oclin à Chloé. Colin lui demanda si elle était arrangée par Duke Ellington et s’enfuit parce qu’il avait la conviction d’avoir dit une connerie. Mais Chick le retint et lui montra un livre de Partre : Paradoxe sur le Dégueulis (Vian faisait référence à la Nausée). Colin voulut encore partir mais Alise le retint pour l’inviter à danser. Chloé avait les lèvres rouges, les cheveux bruns, l’air heureux et sa robe n’y était pour rien. Colin l’invita à danser. Isis proposa des petits fours à Colin et à Chloé. Colin s’étouffa à cause d’un piquant de hérisson dissimulé dans le gâteau. Alors Chloé revint avec deux verres mais Colin s’étrangla. Alise proposa de danser le biglemoi. Chick mit du boogie-woogie. Colin était horrifié que Alise et Chick dansent là-dessus. Alors Colin conseilla à Chloé de ne pas regarder. Il l’embrassa entre l’oreille et l’épaule. Colin mordillait les cheveux de Chloé tandis que passait « Chloé » de Duke Ellington. Colin lui dit que c’était exactement elle et elle répondit : quel dommage !

XII

Chick demanda à Colin s’il allait revoir Chloé et lui parla du « Choix préalable avant le haut-le-coeur » de Partre qu’il avait trouvé sur rouleau hygiénique non dentelé. Colin demanda à Nicolas quand revoir une fille dont il était amoureux. Nicolas lui conseilla de recueillir certaines informations sur les habitudes et fréquentations de cette dernière. Colin traça une spirale sur le gâteau de Nicolas et fit tourner le dessert. Le gâteau diffusait la musique de « Chloé ». Chick coupa le gâteau dans lequel se trouvait un nouvel article de Partre pour Chick et un rendez-vous avec Chloé pour Colin.

XIII

Colin, debout au coin de la Place, attendait Chloé. Il se demandait où l’emmener. Peut-être dans un salon de thé, mais l’atmosphère en était, d’ordinaire, plutôt déprimante, pas au cinéma, elle n’accepterait pas. Pas au députodrome, elle n’aimerait pas ça. Pas aux courses de veaux, elle aurait peur. Pas à l’hôpital Saint-Louis, c’était défendu. Pas au Musée du Louvre, il y avait des satyres derrière les chérubins assyriens. Pas à la Gare Saint-Lazare, il n’y avait plus que des brouettes et pas un seul train. Chloé arriva et il lui serra la main. Un petit nuage rose les enveloppa. Ca sentait le sucre à la canelle. Ils regardèrent une vitrine où se trouvait une jolie femme reposant sur un matelas à ressort. Sa poitrine était nue et un appareil lui brossait les seins. La pancarte portait : « Economisez vos chaussures avec l’antipode du Révérend Charles ». Dans une autre vitrine, un gros homme avec un tablier de boucher égorgeait des petits enfants. C’était une vitrine de propagande pour l’Assistance publique. Dans une autre vitrine, c’était un ventre, monté sur des roues caoutchoutées, bien rond t rebondi. Sur l’annonce, on pouvait lire : le vôtre ne fera pas de plis non plus si vous repassez avec le Fer Electrique. Colin reconnut le ventre de Serge, son ancien cuisinier. Ils prirent le souterrain où se trouvaient deux rangées de volières.

XIV

Ils s’assirent sur un banc. Chloé n’avait pas froid grâce au nuage. Colin mit son bras autour de la taille de Chloé. Ils s’embrassèrent sur la bouche.

XV

Colin annonça ses fiançailles avec Chloé à Alise et Chick. Alise dit à Colin que Chick était bête car il pensait qu’il avait tort de la garder avec lui puisqu’il n’avait pas d’argent pour la faire vivre bien et il avait honte de l’épouser. Chick pensait que les parents d’Alise ne voudraient pas qu’il épouse leur fille. Chick dépensait tout son argent pour Partre. En dépliant leur serviette, Alise et Chick découvrirent des cadeaux. Pour Chick il y avait un exemplaire relié mi-mouffette du Vomi et pour Alise une grosse bague en forme de nausée. Alise proposa à Nicolas de dîner avec eux. Colin annonça qu’il épouserait Chloé un mois plus tard. Colin proposa à Chick un quart de sa fortune pour qu’il puisse se marier. Nicolas revient, il s’était changé. Il proposa que tout le monde se tutoie. Colin leur proposa d’être les garçons d’honneur de son mariage. Alise et Isis seraient les filles d’honneur et les frères Desmarais les pédérastes d’honneur. Alise rapporta un plat de Nicolas. C’était deux figurines de foie gras qui représentaient Colin, en jaquette, et Chloé, en robe de mariée. Tout autour, on pouvait lire la date du mariage, et, dans un coin, c’était signé : Nicolas.

XVI

Colin courait dans la rue. La noce aurait lieu le lendemain. Il pensait à Chloé. Il commanda des fleurs chez une fleuriste.

XVII

Les frères Desmarais s’habillaient pour la noce. Ils étaient très souvent invités comme pédérastes d’honneur, car ils présentaient bien. Ils s’appelaient Coriolon et Pégase. Comme on les payait bien pour être pédérastes d’honneur, ils ne travaillaient presque plus, et malheureusement, cette oisiveté funeste les poussait au vice de temps à autre. La veille Coriolon s’était mal conduit avec une fille et Pégase le tança. Coriolon trouvait Chloé jolie. Il avait envie de lui toucher la poitrine. Pégase le trouva vicieux. Il lui dit qu’un jour, Coriolon allait se marier avec une femme.

XVIII

Le Religieux sortit de la sacristoche, suivi d’un Bedon et d’un chuiche. Il y avait septante-trois musiciens et quatorze enfants de Foi. L’autel se trouvait sur une plate-forme, à cent mètres au-dessus du sol. Les nuages entraient sans façon dans l’Eglise et traversaient la nef en flocons gris et amples. Le Bedon, le Religieux et le chuiche bouclèrent tous les trois les courroies de leurs parachutes et s’élancèrent gracieusement dans le vide. Sans encombre, ils prirent pied sur les dalles polies de la nef.

XIX

chloé était nue, elle se mirait dans l’eau du bassin d’argent. Elle demanda à la souris si elle devait s’habiller. La souris parraissait de cet avis. Alise et Isis se préparaient dans la salle de bains. Chloé aurait voulu qu’elles viennent nues à son mariage.

XX

Chick n’arrivait pas à nouer la cravate de Colin. Il en avait cassées trois. Chick réussit enfin eet fixa la cravate avec de la résine.

XXI

Colin sortit de chez lui, suivi de Chick. Ils allaient chercher Chloé à pied. Nicolas les rejoindraient directement à l’Eglise. Il y avait sur le chemin une librairie devant laquelle Chick tomba en arrêt. Il vit un exemplaire du Remugle de Partre relié de maroquin violet aux armes de la Duchesse de Bovouard. Colin lui donna l’argent pour qu’il l’achète tout en disant que la fortune qu’il lui avait promis ne durerait pas longtemps.

A la porte de Chloé, des gens regardaient la belle voiture blanche commandée par Colin et qu’on venait de livrer avec le chauffeur de cérémonie. Colin n’osa pas embrasser Chloé pour ne pas troubler l’harmonie de sa toilette et se rattrapa avec Isis et Alise. Toute la chambre était pleine des fleurs blanches choisies par Colin. La bague de fiançailles de Chloé était pavée de petits diamants carrés ou oblongs qui dessinaient, en morse, le nom de Colin. Un cinématographiste tournait désespérément sa manivelle. Colin posa quelques instants avec Chloé, puis ce furent Chick, Alise et Isis. Ils partirent en voiture. Tous les gens se retournaient dans la rue et moulinaient les bras avec enthousiasme, croyant que c’était le Président. La cérémonie commença rythmée par le Religieux, le Bedon et le chuiche et les musiciens. Le Religieux tenait la grosse caisse, le Bedon jouait du fifre et le chuiche scandait le rythme avec des maracas. Les septante-trois musiciens jouaient déjà sur leur balcon. Il y eut un bref accord dissonant car le chef d’orchestre tomba dans le vide. Les musiciens firent un autre accord pour couvrir le bruit de la chute mais l’église trembla sur sa base. Les quatorze enfants de Foi descendirent les marches à la queue leu leu et les filles se rangèrent à droite, les garçons à gauche de la porte de la voiture. Colin prit le bras de  Chloé, Nicolas celui d’Isis et Chick celui d’Alise. Le Religieux, le Bedon et le chuiche dansaient une ronde. Les wagonnets étaient rangés à l’entrée de l’église. Colin et Alise s’installèrent dans le premier et partirent tout de suite. Au bout du couloir, le wagonnet enfonça une porte, tourna à angle droit, et le Saint apparut dans une lumière verte. Il grimaçait horriblement et Alise se serra contre Colin. La seconde vision fut celle de la Vierge, et à la troisième, face à dieu qui avait un oeil au beurre noir et l’air pas content. Ils sortirent du wagonnet. Le chuiche et le Bedon, cabriolant dans leurs beaux habits, apparurent, précédant le Religieux qui conduisait le Chevêche. La musique s’arrêta soudain. Le Religieux s’agenouilla devant l’autel, tapa trois fois sa tête par terre et le Bedon se dirigea vers Colin et Chloé pour les mener à  leur place. Très haut, les Musiciens commencèrent un choeur vague; les nuages entraient, ils avaient une odeur de coriandre et d’herbes de montagnes. Agenouillés devant l’autel, sur deux prieurs recouverts de velours blanc, Colin et Chloé attendaient. Le chef d’orchestre attaqua l’ouverture. Le Religieux prit son souffle et commença de chanter le cérémonial accompagnés par onze trompettes. L’ouverture et le cérémonial étaient écrits sur des thèmes classiques de blues. Colin avait demandé que l’on jouât l’arrangement de Duke Ellington sur l’air de Chloé. Devant Colin, accroché à la paroi, on voyait Jésus sur une grande croix noire. Colin souriait vaguement à Jésus. Il était fatigué. La cérémonie lui revenait très cher et il était content qu’elle fut réussie. Colin et Chloé se dirent oui.

XXII

Le chevêche était parti; et Colin et Chloé, debout dans la sacristoche, recevaient des poignées de main et des injures pour leur porter bonheur. D’autres gens leur donnaient des conseils pour la nuit, un camelot passa en leur proposant des photographies pour s’instruire. Aux côtés de Colin et de Chloé, Alise et Chick, Isis et Nicolas, recevaient aussi des poignées de main. Les frères Desmarais en donnaient. Lorsque Pégase voyait son frère se rapprocher d’Isis qui était à côté de lui, il lui pinçait la hanche de toutes ses forces en le traitant d’inverti.

XXIII

Le lit de Colin et Chloé reposait sur une plate-forme à mi-hauteur du mur. La niche formée par la plate-forme, sous le lit, servait de boudoir. Il s’y trouvait des livres et des fauteuils confortables, et la photographie du Dalaï-Lama. Chloé réveilla Colin. La souris grimpa le long de l’échelle et vint les avertir que Nicolas attendait. Nicolas les avait invités à prendre le petit déjeuner dans son domaine. Nicolas avait accompagné Isis chez elle et elle l’avait fait boire. Il avait dormi avec elle et ses deux cousines. Nicolas se confectionna une mixture horrible. Le tout descendit dans son gosier en faisant le bruit d’un cyclotron en pleine vitesse. Son teint s’éclaircit visiblement.

XXIV

Nicolas les conduisit chez lui. Il peinait dur pour garder le contrôle de la direction et se maintenait avec effort au milieu de la chaussée effondrée. Chloé se tourna vers la glace à sa droite et frissonna. Une bête écailleuse les regardait passer, debout près d’un poteau télégraphique. Nicolas dit que c’était un des hommes qui entretenaient les lignes. Ils étaient habillés comme ça pour que la boue n’entre pas jusqu’à eux. La souris était avec Nicolas. Ils se trouvaient au milieu des mines de cuivre. Des centaines d’hommes, vêtus de combinaisons hermétiques, s’agitaient autour des feux. Quelques hommes s’étaient arrêtés pour voir passer la voiture. Chloé sentit qu’ils ne les aimaient pas.

XXV

Chloé se demandait pourquoi les ouvriers étaient si méprisants car pour elle ce n’était pas tellement bien de travailler. Colin lui expliqua qu’on leur avait dit que c’était bien. Les ouvriers travaillaient pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler. Colin les trouvait bête. C’est pour ça qu’ils étaient d’accord avec ceux qui leur faisaient croire que le travail c’est ce qu’il y avait de mieux. Ca leur évitait de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.

XXVI

Ils descendirent dans un hôtel. Nicolas réserva deux chambres. Il revint avec sa toilette en désordre car il avait été reçu par la fille du patron. Chloé toussait et cela faisait mal à Coin. Nicolas paralit encore comme un domestique ce qui énerva Colin. Colin lui lança une chaussure qui brisa la fenêtre de sa chambre. Mais le carreau cassé commençait à repousser.

XXVII

Le lendemain matin, Chloé bailla et prit le pichet de sirop de sirop de câpres. Le carreau l’avait empêchée de dormir car il avait laissé passer un courant d’air. Chloé avait toujours froid et le dit à Colin.

XXVIII

Dès le début de la rue, la foule se bousculait pour accéder à la salle où Jean-Sol donnait sa conférence. Des gens arrivaient en corbillard et les gendarmes plongeaient une longue pique d’acier dans le cercueil, les clouant au chêne pour l’éternité. D’autres se faisaient parachuter par avion spécial. Des pompiers les prenaient pour cible et les noyaient au moyen de lances d’incendie après les avoir déviés vers la scène. D’autres enfin tentaient d’arriver par les égouts. Chick était dans la place depuis la veille. Il avait, à prix d’or, obtenu du concierge le droit de le remplacer et, pour rendre ce remplacement possible, brisé la jambe gauche dudit concierge. Alise et Isis attendaient avec lui l’arrivée de Partre. Chick négligeait beaucoup son travail depuis que Colin lui avait donné de l’argent. Une loge spéciale, dans laquelle trônaient la duchesse de Bovouard et sa suite, attirait les regards. Quelques étudiants cherchaient à semer le doute dans les esprits en déclamant à haute voix des passages tronqués du « Serment sur la Montagne » de la baronne Orczy. Jean-Sol approchait. Des sons de trompe d’éléphant se firent entendre dans la rue. Jean-Sol arriva sur le dos d’un éléphant. Il était protégé par des tireurs d’élite. L’éléphant piétinait des gens. Partre sauta de l’éléphant. Ses gardes du corps ouvrèrent la route à coups de hache. Chick se précipita dans un couloir dérobé qui aboutissait derrière l’estrade, poussant devant lui Isis et Alise. Partre se préparait à lire sa conférence. Nombreux étaient les cas d’évanouissements dus à l’exaltation intra-utérine qui s’emparait plus particulièrement du public féminin. Chick et Alise s’étaient connus sous la même estrade. Chick enregistra la conférence avec un appareil qui lui avait coûté cher. Jean-Sol commença. Les photographes et reporters de la presse et du cinéma s’en donnaient à coeur joie, mais l’un d’eux fut renversé par le recul de son appareil et une horrible confusion s’ensuivit. Ses confrères furieux se ruèrent sur lui et l’arrosèrent de poudre magnésium. Il disparut dans un éclair éblouissant à la satisfaction générale, et les agents emmenèrent en prison tous ceux qui restaient. Isis demanda à Alise des nouvelles de Chloé. Elle n’était pas bien portante et Nicolas s’était horriblement mal tenu avec toutes les filles des hôteliers chez qui ils s’étaient arrêtés.

Partre s’était levé et présentait au public des échantillons de vomi empaillé. La totalité du plafond s’abattit dans la salle. Partre s’était arrêté et riait de bon coeur. Une grosse bête pleine de pattes sortit de l’appareil de Chick.


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