Magazine Culture

Anthologie permanente : Jean-Luc Sarré

Par Florence Trocmé

En écho à la lecture donnée par Jean-Luc Sarré, hier soir, à la librairie Tschann, à Paris, en compagnie de deux de ses éditeurs, Florian Rodari, La Dogana et Antoine Jaccottet, le Bruit du temps. Voir ce reportage, avec photos.
Tôt le matin la fauvette
- on la devine déjà, c'est sa place
sur la branche morte de l'acacia
elle chante, elle appelle la benne
qui ne tarde pas à venir
broyer nos ordures de la veille -
tôt sous la lune qui achève de fondre,
le grutier, comme s'il voulait la décrocher,
entreprend son escalade quotidienne.
Mais qu'importe aux images d'autrefois
l'éveil de ce haut quartier !
Elles mettent rarement le nez dehors,
dédaignent les promenades en famille,
préférant aux rues les albums,
les boîtes à chaussures, les cadres
où elles somnolent, oubliées plus ou moins,
quand elles ne sont pas provisoirement
pincées entre la baguette et la vitre,
ainsi ce visage d'homme un peu las
tombé des Âmes mortes de Gogol
aux pieds de la femme en mauve
de mauve plus clair environnée,
de parme aussi, de magenta passé,
qui pose près de la fenêtre,
les plis de sa robe éclairés
par le grain vierge du papier.
Pour elle la couleur, pour lui
pour toi le noir et blanc.
Comme cette aquarelle
tu redoutes à présent la lumière
que tu affrontais volontiers
quand elle pleuvait à verse
parmi les lourdes odeurs de soleil
au moyen de syllabes magiques :
" Timelou lamelou
Pampan lamela "
en traversant la pelouse
où brillent les fleurs du magnolia
tu as surgi à mes côtés
pour m'emboîter le pas
Casaniers, oui, les souvenirs,
les plus anciens sont même farouches
mais un air parfois, une comptine
suffisent à les déloger
ou encore une tonalité ;
la même ou presque, entraperçue
dans la haie de pyracanthas,
s'épanouissait dans ton verre
quand " l'Allier arrosait Bordeaux "
et renforçait notre connivence
sous l'œil réprobateur des gourmets.
C'était il y a un demi-siècle,
les portes claquaient au nez d'Œdipe,
ni toi ni moi n'en savions rien ;
je peux aujourd'hui les entendre
et m'en réjouir, ayant acquis
l'art d'accommoder les mythes
en les saupoudrant de rumeurs,
en les roulant dans la farine.
[...]
Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010, p. 9 et 10
Jean-Luc Sarré dans Poezibao :
bio-bibliographie, ext. 1, Comme si rien ne pressait (par A. Emaz)
S'abonner à Poezibao
Une de Poezibao


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines