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Othello et Desdémone: le regard d’Equinox (Alberto Savinio, 1928)

Par Jazzthierry

otelodesdemona.1285218318.jpgOthello est ce général au service de la Sérénissime République, qui lorsqu’il remporte des victoires contre les Turcs suscite la fierté et l’enthousiasme des foules mais dès lors qu’il exprime le désir d’épouser Desdémone, la vénitienne, a droit aux protestations de certains patriciens, à commencer par le père de la jeune fille, et l’on fait remarquer qu’il est d’abord un étranger… Shakespeare, on le voit, touche encore un thème universel, présent encore aujourd’hui dans nos journaux. Mais encore plus universel, est celui de la jalousie car son ami et proche conseiller Iago, furieux d’avoir vu nommer capitaine à sa place, le jeune et beau Cassio, va peu à peu introduire le doute dans la conscience du Maure, en lui faisant croire que Desdémone a sans doute quelque tendresse pour le nouveau promu.

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Alberto Savinio (1891-1952) a souhaité représenter trois personnages: le premier assez énigmatique, n’a pas de visage, légèrement plus grand que les autres, il semble dans l’impossibilité de bouger, le regard tourné vers Othello qui lui, est clairement identifiable à sa peau noire; debout et dominateur, son regard ne veut plus croiser celui d’une Desdémone soumise, aux mains jointes et aux genoux pliés, suppliant son mari de chasser les mauvaises pensées de son esprit. La confiance est perdue, la communication n’est plus possible. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’opposition entre le corps féminin (dont on distingue la poitrine) du personnage sans visage et le corps très musclé de Desdémone. On peut plaider que l’un et l’autre sont en réalité la même personne, le premier représentant en quelque sorte, sa mauvaise conscience; mais n’y a-t-il pas un paradoxe à avoir donné à Desdémone, incarnation par excellence de la douceur féminine, un corps si masculin ?

Il faut se souvenir que Savinio, frère d’un peintre beaucoup plus célèbre, Chirico, a été très marqué par le surréalisme, vaste mouvement qui “cherche dans les profondeurs de l’inconscient la matière d’une autre réalité où l’imaginaire et le rêve côtoient l’insolite, le cocasse, le tragique, la métamorphose.” (Nadeije Laneyrie-Dagen). A l’heure où la psychanalyse est si décriée, il est toujours bon de rappeler qu’elle a notamment influencé l’un des plus grands mouvements artistiques du vingtième siècle… Je crois donc que dans ce tableau, le peintre a voulu avaliser la thèse selon laquelle Othello était en réalité amoureux non pas de Desdémone mais de… Iago. Le refoulement de son homosexualité, l’aurait poussé à tuer violemment une épouse à la vérité, assez irréprochable. Donner à Desdémone le corps de Iago, serait donc à mon sens une façon de traduire cette idée en peinture. On s’aperçoit donc que les trois personnages représentés sont en réalité quatre…

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Reste une énigme à résoudre: qui est véritablement cette femme sans visage ? Pour tenter de répondre à cette question, je crois qu’il faut revenir un instant à l’homme. Savinio était Italien par sa mère, mais Grec par son père. De fait, il naquit à Athènes et y demeura jusqu’à l’adolescence. L’écrivain et journaliste qu’il était aussi se passionnait pour la culture et la mythologie grecque. Or, il existe un récit chez les Grecs qui peut faire penser à celui d’Othello; il concerne naturellement la plus belle des déesses: Aphrodite (ou Venus). On sait que mariée à Vulcain (dieu du feu et des forges), elle eut aussi de nombreux amants et parmi eux, Mars, le dieu de la guerre. Vulcain fut prévenu par le Soleil de l’infidélité de son épouse, et décida de poser un filet invisible sur le lit des amant. A peine allongés, ils furent pris au piège… Il existe un tableau de Marteen Van Heemskerck (Vénus et Amour, 1545) qui rappelle cet épisode et dont je reproduis un détail ici (on voit nettement Vulcain transportant le filet avec lequel il va piéger Vénus et Mars).

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Le parallèle entre Vénus-Desdémone et Vulcain-Othello est très intéressant mais trouve-t-on des indices dans l’oeuvre de Savinio qui confirmerait cette hypothèse d’Equinox ? Premièrement nos trois personnages dominent un paysage à leur pied, qu’il faut décrire: à gauche de Desdémone, on distingue des monuments de style classique, probablement un amphithéâtre qui évoque le théâtre et la culture grecque. Derrière ses pieds et ceux d’Othello, on perçoit des roches de couleurs différentes, des minerais. Or Vulcain est précisément celui qui dans sa forge, travaille le métal avec ses attributs (le marteau et l’enclume). C’est lui qui par exemple, forgea les armes d’Achille et d’Enée. Autre indice probablement plus convainquant, le personnage sans visage dans le tableau de Savinio est recouvert d’un filet qui semble lui interdire tout mouvement. Ce filet n’évoque-t-il pas celui dont Vulcain se servit pour immobiliser les deux amants fautifs ?


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