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Le premier élève de la webschool de la Compagnie Bancaire ? "pépère" (à savoir son Président)

Publié le 14 août 2010 par Anne Onyme

(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique - Ce conte-ci n'est pas de moi, mais de François Druel aui a oeuvré avec moi à l'Atelier et a fondé la webschool de la Compagnie Bancaire. Je le remercie d'avoir pris le temps de mettre par écrit ses souvenirs - je lui laisse le clavier).

En 1995, à peine embauché à l’Atelier de la Compagnie Bancaire, Jean-Michel m’avait fait faire des cartes de visites sur lesquelles était mentionnée la fonction de "netsurfer". C’était assez incongru, surtout dans une banque, mais finalement cela m’allait très bien et me donnait beaucoup de liberté pour faire ce que j’aimais (et que j’aime toujours) : surfer sur Internet, essayer d’y comprendre quelque chose et transmettre ce que j’avais pigé sous forme de causeries pour les clients du groupe, d’articles dans le Journal de l’Atelier, de conférences... en un mot j’étais une sorte d’évangélisateur de l’Internet, dédié aux collaborateurs de "nos maisons" et à leurs apporteurs d'affaires à savoir tout le commerce français.
A cette époque, c’est Bernard Muller - que l'on appelait familièrement "pépère" - qui présidait aux destinées du Groupe. Ancien président de Cetelem, c’était un homme pragmatique et Jean-Michel, qui le connaissait bien, l’avait convaincu d’installer un ordinateur sur son bureau, au 4ème étage de l’immeuble de l’avenue Kléber. Naturellement il avait fallu connecter le Mac présidentiel à l’Internet. Cela n’avait pas été si simple : Patrice Damour, le directeur télécom du Groupe, avait dû faire installer une prise ethernet au milieu des moquettes épaisses (beige clair) et des portes à double battant (beige aussi). Presque une révolution (de velours, naturellement). Sur cet ordinateur, nous avions installé un client FirstClass (qui permettait de se connecter au Babillard de l'Atelier) et Netscape Navigator, le lointain ancêtre de Firefox, pour se connecter sur le web. Bref, la machine trônait sur le grand bureau présidentiel.
Un matin, Jean-Michel me dit que Bernard Muller savait faire fonctionner son ordinateur (en ayant un à titre personnel à son domicile) mais qu’il souhaitait qu’on lui montre des choses intéressantes sur Internet et que c’était à moi de le faire. Rien de moins ! Je n’avais certes pas froid aux yeux mais tout de même, le président en personne... le rendez-vous était fixé pour le vendredi à 14h30.
Comme tous les vendredis, j’avais un peu relâché ma tenue et j’étais venu en jean et chemisette rose à fleurs. C’est donc dans cet accoutrement très éloigné des canons de la mode bancaire que je me suis présenté à la porte du bureau du bureau présidentiel. A voir sa tête, je crois qu’il a été un peu surpris. Mais là n’était pas la question et très vite il en est venu au cœur du sujet : “François, je voudrais comprendre comment marche l’internet”, me dit-il de sa voix rauque et déjà abimée par le tabac. Il fumait en effet comme une locomotive. Des cigarettes qu’il roulait lui-même avec du papier Riz la Croix et un tabac brun ordinaire (dans le genre St Claude ou Narval)... ma surprise m’a pas été moins forte que la sienne me voyant en chemisette !
Il me fit asseoir à sa place, au bout d’un bureau qui me paraissait interminable. Je n’en menais pas large, assis à sa place. J’étais aux commandes de son Mac et il s’est assis à ma gauche, papier en main, pour prendre des notes en regardant ce que je faisais. J’ai commencé à lui parler d’accès internet, de services (mail, FTP, web) et des enjeux que cela comportait. Naturellement on a parlé de commerce électronique, ce qui a retenu son attention (Kleline était alors en pleine activité). Nous avons visité quelques sites web, dont MapQuest, qui le fascinait car il était passionné de géographie et de cartes. Je l’avais convaincu de lire et d’écrire lui-même ses emails. Je me souviens de l’argument que j’avais employé : imaginez que vous fassiez traiter vos emails par votre secrétaire. Que ce passerait-il si un de vos correspondants, pensant vous parler en direct, écrivait une phrase du genre “ ta secrétaire est une imbécile” (ce qui, rassurez-vous était loin d’être le cas d’Elisabeth Ceccon ; une femme efficace et charmante, au demeurant)... L’argument avait fait mouche. Le mail de remerciement qu’il me fit parvenir le lundi suivant m’a fait chaud au cœur. Nous en échangions régulièrement et je lui indiquais les adresses des sites que je trouvais intéressants.

Au total, il a dû consacrer à la découverte d’internet 3 vendredis après-midi. Il m’avait en effet expliqué qu’il consacrait tous ses vendredis après-midi à des sujets prospectifs en ajoutant « mon boulot, c’est d’imaginer la Compagnie Bancaire dans 5 ans » (je connais peu de grands patrons capables d’en dire autant aujourd’hui !) Après les premières découvertes, très vite, est venue la discussion sur les noms de domaines. C’est pour lui prouver que n’importe qui peut déposer un nom que j’ai déposé druel.com et que j’ai créé ma première page web (avec la complicité de Brahim Hamdouni, "garagiste" à l'Atelier, qui m’avait appris quelques rudiments d’HTML). En voyant cela, Bernard m’a dit : « mais si on ne dépose pas un nom pour la Compagnie Bancaire, on va se le faire piquer ? » Comme je lui répondais que le risque était non nul, il a demandé la création des noms de domaine cie-bancaire.com et cie-bancaire.fr. La création du site web de la Compagnie Bancaire n’a pas tardé : il y a eu beaucoup de discussions avec la direction de la comm et celle des télécoms qui pilotaient les jeunes garagistes de l’Atelier (car nous avions 4 ou 5 garagistes en permanence qui dépiautaient des logiciels, fabriquaient des maquettes...). Mais finalement le site était sympathique, avec sa grappe de raisins bleue et grise, le logo de la maison. Les raisins représentaient les filiales du Groupe, tels ceux d'une grappe de raisin (n'allez surtout pas croire que nous étions porté sur la dive bouteille - pas plus en tout que dans d'autres banques).

Nous étions fin 1996...

Bernard Muller continuait ses découvertes. Il m’a demandé si c’était compliqué d’écrire de l’HTML. Venant moi-même de découvrir le langage, j’ai répondu que non et je lui ai montré un document HTML. C’était très simple (une page avec des balises de titre, un peu de texte et une image), mais je l’avais sauvegardé sur le disque dur de son Mac. La semaine suivante, pour une de nos dernières sessions de travail, il m’avait réservé une surprise : alors que j’allais conclure, il s’est mis derrière le clavier et a ouvert un dossier. Dans le dossier, un fichier HTML. Il double-clique et l’ouvre : « Regardez, j’ai fait une page HTML. Qu’en pensez-vous ? »
Je dois avouer que j’en suis resté coi ! Totalement sans voix. Qu'un président s’intéresse à l’internet, passe encore mais qu’il écrive des pages HTML, j’étais scotché. Il m’a alors expliqué « je veux me rendre compte par moi-même de ce dont il s’agit. » C’est également pour lui démontrer que le commerce électronique était une réalité ouverte à tous que j’avais créé une boutique dans Yahoo! Shopping. En vente, pour 5 dollars, ma photo d’identité. Une seule vente, à un seul client : le président !
Bernard Muller voulait voir par lui-même, expérimenter, toucher du doigt. Il n’avait pas besoin de creuser le sujet à fond, juste de connaître l’internet en pratique et d’en percevoir les enjeux importants pour le groupe dont il avait la charge.
C’est en relatant les exploits présidentiels à Jean-Michel qu’est née l’idée de Webschool : il fallait étendre ce genre de formation à tout le groupe : les comités de direction naturellement, mais aussi toutes celles et tous ceux que cela intéresserait. Nous avons commencé très simplement, au cours du printemps 1997. Dans un coin du “Garage”, l’annexe technique de l’Atelier, nous avons fait installer par le service technique des cloisons, un tableau noir, 8 tables et 16 chaises (récupérées dans les réserves du sous-sol, avec l’aide de Louis Ferrigneau, le magasinier, qui fut l’un des premiers “élèves” de la webschool). On avait également installé des ordinateurs portables et un vidéo-projecteur... la facture était assez salée mais Jean-Michel n’eut pas son pareil pour vendre le projet à Pierre Simon, à l'époque président de l'Atelier.
Profitant de l’été, j’ai fait savoir à qui voulait l’entendre que je ferai des formations à internet à l’heure du déjeuner. Pas la peine de faire de bon de commande (les fameux “bons verts”) ou de quoi que ce soit, il suffisait de me le demander par retour de mail (grâce au Babillard) ou par téléphone. Le bouche à oreilles jouant bien, j’ai pu former tous ceux qui se présentaient : traders de la salle de marché, experts du groupe Méthode, commerciaux, pote-d-un-collègue-qui-m-a-dit-de-venir, secrétaires, responsables sécurité et même documentalistes du Ciec, qui était le centre de documentation du Groupe (avec une session spéciale, ces dames ne souhaitant pas se mêler à la plèbe et ne voulant pas empiéter sur leur temps de déjeuner). Le programme était immuable et se terminait à 13h30 (ce qui me permettait d’aller déjeuner avant la fermeture de la cantine). Bref, tout le monde avait pu “voir internet”.
Naturellement, à la rentrée la webschool était devenue une réalité. Bernard Muller avait continué sa réflexion et il me demanda de former les patrons des filiales du Groupe. Sur son invitation, ils sont tous venus, ou presque, en groupe ou individuellement. Je me souviens qu’un chef à plumes de Banque Directe était venu à midi, lors d’une des sessions “ouvertes” car il n’avait pas trop de temps. En bon élève, il s’était installé au 1er rang. La petite salle était pleine et comme il ne restait qu’une place c’est une hôtesse d’accueil arrivée un peu en retard qui s’est assise à côté de lui. Quand j’ai demandé à tout le monde de se connecter, je me suis aperçu que c’était l’hôtesse d’accueil qui montrait au “grand chef” comment utiliser une souris ! C’était touchant et c’est un de mes meilleurs souvenirs de la webschool.
Marcel Doucet (un grand bonhomme récemment disparu, malheureusement), qui était alors directeur commercial de Cetelem a trouvé le concept intéressant et en a profité pour faire venir ses partenaires à la webschool. J’ai donc formé des équipes de commerçants, dont But (qui m’a offert un T-Shirt !). La webschool était devenu un outil d’aide à la vente...
Tout le Groupe avait entendu parler de la webschool, mais elle était située à Paris... pas facile pour les agences de province. On a alors décidé de rendre la webschool itinérante. A cette époque, l’ADSL n’existait pas. Il a donc fallu acheter deux routeurs RNIS, des Cisco qu’on avait appelé Hermes-1 et Hermes-2. Il a également fallu doter l’Atelier d’une ligne Numéris (heureusement que le Gep Télécom - notre département télécom en avait en réserve -, on a évité le bon de commande avec contre-signature d'un chef). Cela me permettait de me déplacer mais la logistique était assez coton : il fallait faire venir des lignes RNIS temporaires dans des locaux pas toujours pratiques : agences commerciales, sous-sols d’hôtels, salles de conférences. Heureusement Claude Daniel, qui venait de rejoindre l’Atelier était une assistante efficace et tout a baigné dans l’huile : arrivé dans la salle réservée par ses soins, je trouvais une ligne Numéris et je pouvais installer la webschool.
J’ai alors effectué quelques tours de France : Rouen, Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice, Lyon, Besançon, Strasbourg, Reims, Lille... dans un sens ou dans l’autre, du lundi au vendredi. Le programme était toujours le même : en début d’après midi, découverte de l’internet pour les équipes commerciales de l’agence qui m’avait demandé de venir et en fin d’après-midi, réunion clients/apporteurs d'affaires. J’en ai fait des kilomètres pour Cetelem (y compris en Belgique), UCB (y compris en Italie), Cofica et d’autres sociétés du Groupe ! J'ai rencontré des milliers de professionnels de la France d'en bas, comme dirait qui vous savez...
Vincent Becquey qui dirigeait à l'époque notre Observatoire de l’automobile trouvait également le concept intéressant et après un premier rôdage en octobre-novembre 1997, m’a demandé de concevoir une présentation (l’auto sur internet) pour son roadshow de janvier 1998 à l'intention de tous les concessionnaires de voitures de France et de Navarre (sur une musique de boogie-woogie que j’ai encore en tête). L’Atelier avait loué chez Arval une Opel Vectra break qui me permettait de transporter tout le matériel nécessaire, la fameuse “camionnette rouge”.
La direction commerciale de Cardif, après un moment de doute, s’était lancée dans la création d’un extranet pour ses apporteurs d’affaires (Finagora, qui existe toujours, 12 ans après). C’est donc avec Charles Muller, Jean-Marc Altwegg et Jean Orgonasi que j’ai parcouru la France pour lancer ce service innovant, le premier extranet financier de France.
Jean-Charles Bossard, qui était directeur marketing de l’UFB-Locabail m’a également demandé de former certains partenaires, dont Fidunion...et la camionnette rouge engrangeait les kilomètres. 90.000 entre novembre 1997 et septembre 1998.
Tout ce temps passé sur la route me permettait de réfléchir avec les uns et avec les autres car je ne me déplaçait rarement seul. C’est ainsi qu’après 3 ans passés à l’Atelier, j’eus deux propositions : ou bien rejoindre Cardif pour animer Finagora ou bien participer à l’aventure Business Village qui à ce moment-là n’était rien d’autre qu’une idée qui avait germé à la suite d’expérimentations faites sur le Babillard (Graphic Village, notamment).
Je ne savais pas quoi faire... alors j’ai envoyé à Bernard Muller un email dont le titre était “l’âne de Buridan” et dans lequel je lui demandais quoi faire. Son conseil était “allez chez Cardif”... mais c’était à Rueil, à 1 heure de transport de chez moi... j’ai donc choisi de me lancer dans l’aventure Business Village, avec Jean-Charles et Brahim !

Fin 1998, j’ai cédé les clés de la webschool et de sa camionnette rouge à Sylvain Phélippeaux, qui a repris le flambeau... et j’ai acheté une Smart (jaune et noire), financée par Claude Collet, de l’UFB. Une aventure se terminait, une autre commençait.

En voiture. Et roule ma poule !

François Druel (mail : francois(arobase)druel.com)

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PS... Si vous trouvez des fôttes dautaugraffe, merci de me les signaler là où elles sont... Pas la peine de me dire qu'il y a des foôtes, je le sais...

Et si vous aussi avez vécu des histoires intéressantes, merci de me dire...Et je recherche des dates (je perds des neurones). Par exemple quand Alcatel a t il commercialisé des SMH Adrex  ? etc... Des dates de la période du 22 à Asnières de Fernand Raynaud (1955 je crois) à Twitter aujourd'hui...


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