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Pourquoi les honorables membres de l’EAF (Elite Analogique Française) n’ont pas de cartes de visite ?

Publié le 05 août 2010 par Anne Onyme
(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique).
Allez, petit sondage vite fait : avez-vous quelques cartes de visite sur vous ? Oui ? Alors vous ne faites probablement pas partie de la Grande Elite Française... Vous n’en avez pas ? Dans ce cas, il se peut que vous fassiez partie de la Caste des Seigneurs... Si c’est le cas, vous pouvez quand même rester pour lire la suite : je m’en vais vous conter deux historiettes croquignolesques à propos de cartes de visite...

Vous allez me dire que le sujet est futile ? Un petit bout de carton...

Et pourtant, ce petit bout de carton est révélateur d’une organisation sociale analogique et maintenant digitale...


Personnellement, j’avais pris l’habitude d’avoir toujours sur moi un petit stock de cartes de visite... Habitude prise en visitant les grands shows américains de la technologie dans les années 80 comme le Macworld, l’Internet World, feu le Comdex (qui va renaître de ses cendres en virtuel), le Consumer Electronic show, etc... Car dans ces shows, quand vous commencer à discuter avec l’Américain qui tient son stand, ce dernier commence par vous donner sa carte de visite. Carte qu’il «dégaine» avec grande célérité, tel un cow-boy avec son 6 coups dans le corral de Tombstone. Il attend en contre-partie que vous lui donniez la vôtre. Si vous n’en avez pas, vous êtes immédiatement catalogué comme peu sérieux...
Est-ce à dire que l’Elite française est peu sérieuse, si elle n’a pas de carte de visite ?
J’avais aussi pris cette habitude en visitant des entreprises japonaises à Cypango... Mon ami Michel Debord - grand familier du Président de Matsushita - m’avait initié au cérémonial grandiose de l’échange de carte de visite... Michel avait en effet été notre teamleader lors d’un voyage d’études organisé par l’UFB Locabail (une filiale de la Compagnie Bancaire) au Pays du Soleil Levant, il y a bien une vingtaine d’année.
A la différence du pays des cow-boys, on ne présente pas ici sa carte n’importe comment. Il faut la tenir des 2 mains, de façon à ce que votre interlocuteur puisse la lire, avant de la prendre. Petite courbette de votre part, et votre Japonais saisit précautionneusement le précieux bristol, en se courbant lui-même. En poussant des «hoho» plus ou moins longs d’étonnement, de respect, et de satisfaction. Tout en étudiant avec très grands soins tous les recoins de votre carte dont vous avez pris la précaution de la faire imprimer en kanjy... Il va ensuite vous remettre la sienne de la même façon. Attention, et Michel insiste beaucoup sur ce point : il ne faut pas immédiatement ranger le petit bristol de votre Japonais dans la pochette de votre veste. Il vous faut aussi l’étudier avec grand respect, même si vous n’êtes pas familier avec le kanji. Pas le peine de faire des «hohos» à la gauloise, vous seriez ridicule ... Et surtout, surtout, ne pas la mélanger avec d’autres cartes de visites que vous auriez déjà reçus au préalable dans d’autres entreprises visitées ... .Car si malencontreusement lors de votre prochaine visite, vous sortiez en lieu et place de votre carte, la carte du Japonais vu au préalable... Pas bon ! Pas bon du tout ! Grosse bévue qui va mettre vos interlocuteurs dans une situation dont ils risquent d’être offensés... Et là, si vous voulez établir des relations d’affaires, c’est plutôt mal barré... Vous allez me dire que dire que si l’Elite Française n’a pas de cartes de visite, l’éventuel problème qui pourrait se poser n’aurait pas lieu ? Certes... Mais le b.a.ba de l’entrée en matière au Japon : c’est la carte de visite. Si vous n’en avez pas... Vous ne faite pas sérieux.
Est-ce à dire que l’Elite française n’est pas sérieuse ???
Mais revenons à nos moutons. Je me demandais donc pourquoi les gens importants que je recevais à l’Atelier de la Compagnie Bancaire, n’avaient généralement pas de cartes de visite à me remettre. Ils étaient même étonnés que je dégaine la mienne dés les premiers instants de la réunion...
Et un jour, j’ai compris... Monsieur Bernard Spitz (Enarque de l’An de Grâce...) avait demandé à me voir pour discuter de multimédia. Cela se passait vers la fin des années 80-début des années 90. Mon assistante, la très célèbre Chantal Duvigneau, était allé le chercher à la sortie de l’ascenseur. Il n’a pas eu le temps de s’asseoir que je lui remettais ma carte... Un peu interloqué, Bernard commence à chercher dans ses poches, puis dans son magnifique maroquin. Pour me dire après recherches infructueuses : «Désolé, Monsieur Billaut, je n’en ai pas. Mais rassurez-vous, je suis connu dans les milieux qu’il faut...»
Et là, j’ai compris... L’Elite Française vit en effet en circuit fermé. Leurs membres ont fait les mêmes grandes écoles, font partie des mêmes cercles. Leurs enfants fréquentent les mêmes lieux, etc... Et comme ils ne vivent qu’entre eux, ils se connaissent bien... Donc pas besoin de cartes de visite... De plus, au cas où vous les rencontriez, ils n’ont guère besoin de la vôtre, vu que vous ne faites partie de la caste des seigneurs...
Depuis, Bernard que j’ai revu, a des cartes de visite. Bien obligé. Comme il a créé une société de conseils qui travaille avec des entreprises coréennes, et que l’Elite coréenne n’a pas fait d’ENA, puisqu’il n’y a pas d’ENA dans ce pays (les pauvres ! ils sont bien à plaindre : cela doit être un sacré bazar chez eux...).
Autre petite histoire de carte de visite assez croquignolesque... qui vaut son pesant de cacahuètes...
J’avais organisé je crois que c’était en 1998, une réunion au siège de la Compagnie Bancaire au numéro 5 de l’avenue Kléber à Paris, une réunion avec l’équipe dirigeante de Kleline, et David Chaum.
Kleline était une startup que nous avions incubée... Et qui aurait peut-être pu devenir le Paypal mondial... David lui, avait créé Digicash, une entreprise californienne qui donnait dans la dématérialisation complète de la monnaie... Cryptographie forte (elle était tellement forte qu’il a dû avoir plus tard des problèmes avec le Gouvernement Américain et... Visa).
Donc, au jour dit, Pierre Simon Président de Kleline (et de l’Atelier de la Compagnie Bancaire), Abdallah Hitti DG de Kleline et moi-même, recevions David dans une des salles de réunion du 4ème étage de la Compagnie Bancaire. L’étage de la Direction. A noter que Pierre était l’ex-patron du Crédit du Nord et membre du Comité Directeur de la Compagnie Bancaire (aujourd’hui il est Président de la Chambre de Commerce de Paris). Un Monsieur important donc, et au demeurant très sympa.. David est arrivé à l’heure dite. Il portait une chemise à fleurs et n’avaient pas de chaussettes dans ses sandalettes...Vous vous rendez compte ? A l’étage de la Direction de la Compagnie Bancaire !
Et au moment où il sortait de l’ascenseur, ce que je craignais est arrivé ! Le Président de l’époque de la Compagnie Bancaire : feu Bernard Muller (on l’appelait familièrement Pépère), sortait de son bureau... Je me suis senti obligé de lui présenter David... Bernard m’a jeté un regard torve, se demandant ce que j’étais encore en train de e-trafiquer... Chemise à fleur à l’étage de la Direction... pas de chaussettes ... sur une moquette épaisse comme cela... Enfin !
Un peu stressé, j’accompagne David à la salle de réunion...  Et si je me souviens bien cette salle avaient 2 portes... C’était la coutume à l’époque, pour éviter que quelqu’un qui passe dans le couloir puisse entendre ce que se disait à l’intérieur des gens très importants. C’est encore la coutume de nos jours dans certains bureaux de Direction du côté de l’Opéra à Paris, me semble-t-il.
J’ouvre donc la première porte et laisse passer David, qui étant tourné vers moi pour me parler, n’a pas vu la deuxième porte, qu’il a heurtée...
Surpris le David !... Il m’a gratifié d’un «wouah, it’s fun !» en se demandant bien pourquoi il y avait 2 portes.. Je me suis dit que voilà une réunion qui s’annonçait sous les meilleurs auspices... La chemise à fleur, le Président, la deuxième porte... Qu’allait-il encore m’arriver ?  Et là, j’ai su tout de suite en entrant dans la salle de réunion... La carte de visite de Pierre Simon... Je me suis dit qu’à tout les coups, Pierre n’en avait pas... Et que j’aurais dû dire à son assistante...
Naturellement en entrant, après s’être frotté le nez (du fait de la porte), David commence à distribuer sa carte de visite... Pierre, un peu décontenancé, cherche dans ses poches, dans sa serviette... Et il en trouve une ! Ouf, fis-je en moi-même... Voilà au moins quelque chose qui se passe bien...
Oui, mais... C’est que la carte de visite de Pierre était dans un grand format comme on faisait dans le temps... Avec une typographie gothique...
David prend la carte, un peu interloqué par ses dimensions, et essaye de la mettre dans la pochette de sa chemise à fleur... Il s’y reprend à plusieurs reprises, en nous gratifiant à chaque essai se son «wouah, it’s fun» !...
J’ai encore aujourd’hui toujours sur moi un petit stock de cartes de visites... Au cas où...
Mais aujourd’hui les cartes de visite se déclinent aussi en mode digital .. Soit en signature de mail (mais combien de personnes y mettent leur n° de téléphone, leur pseudo Skype, etc ?...). Soit en profil sur Linkedin, Facebook, Viadeo, etc...
Et combien de sites web français indiquent où se trouvent géographiquement l’entreprise ? Combien indiquent un numéro de téléphone, un mail direct et non pas info@... ? Combien présentent leurs dirigeants ? Avec photos, bref cv, etc... Pourquoi toujours avoir ce goût du secret ?
Comme s’ils ne voulaient pas être dérangés par le e-vulgum pecus. Pourtant, il me semble que lorsque l’on veut faire du business, il est préférable de répandre ses coordonnées un peu partout, non ?
Remarquez qu’il y a encore pire ... Les site Web où il y a une fiche contact... Vous la remplissez pour demander quelque chose... Et personne ne vous répond... Cela, c’est dramatique ! D’ailleurs on devrait ouvrir un site qui diffuse le nom des entreprises qui ont une fiche contact sur leur site et qui n’ont pas répondu au bout, disons, d’une semaine. J’y mettrais Proteor (prothése), Pompom (vélo électrique), Allo Permis (récupération de points pour le permis), etc... Ils n’ont toujours pas répondu à mes demandes.. Dans ce cas pourquoi mettre une fiche contact ?
Bref, tout cela n’est peut être pas encore passé dans les moeurs de l’EAG (Elite Analogique Gauloise). Qui probablement se retranchera derrière la «privacy».. Qui a bon dos (pour moi c’est un faux problème - j’ai là aussi une histoire pendable à vous raconter un de ces jours)...
La France a l’élite qu’elle mérite... Mais les us et coutumes de cette dernière ont déteints sur le peuple...

Heureusement nos «digital natives» qui seront la nouvelle élite, fonctionnent autrement. Ils n’ont peut-être de carte de visites cartonnées... mais ils savent faire de la communication sur les réseaux...

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