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Sélection à l'entrée de l'Université : le débat continue sur Criticus

Publié le 08 décembre 2007 par Roman Bernard
Après le débat sur le déclin de la France, Jonathan Gindt de Moselle d'avenir a suscité ici un second débat sur la sélection à l'entrée de l'Université, dont je me suis fait l'avocat passionné au mois de juin, lorsque Valérie Pécresse a écarté cette perspective, puis dans mon dernier billet. Je publie ci-dessous son commentaire, et la réponse que je lui ai apportée. Pour ne pas me contenter d'avoir le dernier mot, je publierai dans ce billet sa nouvelle réaction, à la suite de la mienne.
Sur la sélection, on en déjà eu l'occasion d'en parler. Le problème de la France n'est pas la démassification de l'accès à la première année de licence. Rappelons que dans de très nombreuse universités, l'accès à un Master est déjà conditionnée. Le malthusianisme par la sélection ne sert à rien et contrairement à ce que tu crois, il n'existe que dans très peu de pays.
Même si quelques filières sont il est un vrai un peu surchargées, le problème essentiel n'est pas celui-là. Il s'agit de la valeur du diplôme universitaire de manière générale et du nécessaire décloisonnement entre diplôme et job obtenus.
A titre d'exemple, une personne obtenant un Master en lettres antiques peut devenir banquier chez Morgan Stanley aux Etats-Unis, au Canada aussi d'ailleurs. En France, c'est inconcevable.
En redonnant des moyens (personne ne nie qu'elles en manquaient terriblement il me pense) et en les autonomisant davantage, on va donner de l'air aux facs (qui doivent aussi se regrouper).
Mais en aucune manière la sélection n'est une solution dans une économie de la connaissance.

Voici ma réponse :
Ca y est, il me fallait le coup du "malthusianisme" (qualificatif qui ne sied guère au nataliste que je suis, mais bon). Comme tu le rappelles, la sélection à l'entrée en Master existe déjà dans certaines disciplines, c'est le cas de ma formation, et je me félicite que nous soyons 50 dans ma promo à étudier le journalisme et non les 800 candidats qui s'étaient présentés au concours d'entrée... cela pour des raisons de moyens matériels, pédagogiques, et surtout de possibilités de stages et d'embauche.
Tous ceux qui sont passés par des formations sélectives s'en félicitent, ne serait-ce que parce que le passage d'un concours d'entrée donne un sens aux études que l'on suit. Pourquoi, dans ce cas, ne pas l'appliquer à tous les masters, à la sortie desquels les étudiants seront assurés de trouver un emploi à la mesure de leurs compétences ? Tu rappelles que la sélection n'existe qu'en de très rares endroits -où ai-je dit le contraire ?-, mais comme pour les tests de filiation ADN, ce n'est pas parce que nos voisins font des erreurs qu'il faut les imiter.
Comme tu le sais, la sélection, dans les pays anglo-saxons, est essentiellement basée sur l'argent. Soit tu es riche et tu achètes ton diplôme, soit tu es très bon et tu obtiens des bourses pour t'acquitter des frais de scolarité exorbitants. Je ne trouve pas cela juste, et je ne pense pas que ce soit ton cas. Je pense qu'en France, l'Université devrait être gratuite et sélective, de manière à ce que les meilleurs étudiants ne fuient pas dans des grandes écoles, et que les élèves issus de familles modestes puissent bénéficier de bourses conséquentes, leur permettant de subvenir à tous leurs besoins pendant leurs études.
À terme, je rêve d'une Université unique, qui rassemblerait tous les talents et où "études" serait à la fois synonyme d'excellence et de tremplin vers la vie active. Pourquoi la sélection est-elle indispensable à ce noble objectif ? Parce que, c'est peut-être là que je suis "malthusien", je pense que le talent ne se partage pas ni ne se multiplie, qu'il est une denrée rare qu'il faut protéger comme telle. Et que, pour être tout à fait honnête sur le fond de ma pensée, il est au moins autant inné qu'acquis (les performances cérébrales, qui comptent beaucoup dans l'intellect, sont conditionnées par nos gènes).
Faire cohabiter des étudiants brillants, minoritaires, avec des étudiants médiocres, majoritaires, ne peut que pousser les premiers à s'acculturer aux seconds, et à laisser leur talent en jachère. Combien de gens potentiellement excellents renoncent-ils à être ambitieux, parce que le nivellement par le bas dont ils sont victimes à la fac les convainc qu'il faut "ne pas se prendre la tête", "rechercher avant tout le bonheur", que réussir sa carrière est "vain", que "la vraie vie est dans les choses simples", autant d'appels au renoncement dont notre littérature, nos chansons, notre cinéma, nos médias et certaines de nos personnalités politiques se font les zélés relayeurs ?
Oui, je suis un "méritocrate", un élitiste favorable à une hiérarchie sociale forte basée sur deux valeurs fondamentales que sont le talent, d'abord, et le travail, ensuite. Tu vas encore me dire que c'est du dit et du redit, mais tant que cela n'entrera pas dans les faits, ce sera toujours une revendication légitime.
Peut-être aussi, peux-tu m'objecter que cela n'est pas très généreux. Mais il faut bien se rendre compte que l'absence de sélection, paradoxalement, favorise les étudiants issus de milieux favorisés : si le diplôme est détenu par un trop grand nombre de personnes par rapport aux offres d'emploi, qui va s'en sortir ?
Loin de moi l'idée de faire mon Bourdieu de comptoir, mais le concept de capital prend ici tout son sens. Ceux qui auront des relations, un soutien financier pour, par exemple, avoir un logement, une voiture, auront plus de chances d'être embauchés, tandis que les enfants des classes populaires, munis d'un diplôme inutile, seront contraints au déclassement. Sache que j'ai vu des titulaires de masters, de doctorats, travailler à Auchan parce que leurs secteurs respectifs étaient saturés. Tu préfères quoi ? Que l'on sélectionne les gens dès le début, sur les seuls critères du talent et du travail, ce qui permettra de mieux orienter les gens (vaut-il mieux être un mauvais enseignant ou un bon artisan, franchement ?), ou que l'on ait en fin de compte trop de diplômés, forcés à prendre un emploi pour lequel ils sont surqualifiés, avec de fortes chances de faire une bonne dépression à la quarantaine (si les Français consomment autant d'anti-dépresseurs, ce n'est pas pour rien) ?
Mettre plus de moyens dans l'Université ne résoudra pas ce problème, puisque la valeur marchande d'un diplôme ne dépend pas de sa valeur intrinsèque mais relative. C'est un élement de distinction, avant tout. Surqualifier une génération, outre le fait de la rendre dépressive, conduira aussi, ce que l'on observe depuis une bonne dizaine d'années déjà, à faire fuir ses meilleurs éléments -pas toujours les moins patriotes- à l'étranger, où ils feront le bonheur des entreprises et universités concurrentes. Est-cela, ce que tu souhaites ? Un pays où l'alternative, pour une génération, réside dans la dépression, le renoncement, ou la fuite ? Soyons sages et résolvons-nous enfin à l'idée que l'égalité n'est qu'un idéal. L'égalitarisme, lui, est un dogme qui, non content de briser toute ambition, porte en lui le germe de l'inégalité, toujours prête à resurgir de façon perverse : prépas privées, écoles privées, instituts privés de soutien scolaire, pistons, passe-droits, etc. Il n'y a pas d'égalité sans sélection.
Roman B.


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