Magazine Société

Payons-nous une chouette guerre mondiale, les gars

Publié le 22 avril 2010 par Tanjaawi

Dans sa dernière rubrique pour New Statesman, John Pilger décrit l’élargissement du front de guerre étasunien dans le monde, de l'Afghanistan jusqu’en Afrique et l'Amérique latine. Il s'agit de la Troisième guerre mondiale, sauf qu’elle n’en porte pas le nom, menée par le seul « isme » agressif qui nie être une idéologie, menacé non pas par des membres de tribus repliés en des lieux lointains, mais par l'instinct pacifique de ses propres citoyens.

Payons-nous une chouette guerre mondiale, les gars

  Voici des nouvelles de la Troisième guerre mondiale. Les États-Unis ont envahi l'Afrique. Leurs troupes sont entrées en Somalie, élargissant leur front de guerre d'Afghanistan et Pakistan au Yémen, et à présent à la Corne de l'Afrique. Dans les préparatifs en vue de l’attaque de l'Iran, des missiles ont été placés dans quatre États du Golfe Persique et des bombes « brise bunker » seraient arrivées à la base étasunienne sur l'île britannique de Diego Garcia dans l'Océan Indien.

  À Gaza, la population malade et abandonnée, la plupart des enfants, est ensevelie sous terre derrière des murs fournis par les États-Unis afin de renforcer un siège criminel. En Amérique latine, l'administration Obama a obtenu sept bases en Colombie, à partir desquelles elle mène une guerre d'usure contre les démocraties populaires du Venezuela, de Bolivie, d'Équateur et du Paraguay. Pendant ce temps, le secrétaire de la « Défense, » Robert Gates, se plaint du fait que « le grand public et la classe politique [européens] » sont tellement opposés à la guerre qu’ils sont un « obstacle » à la paix. Souvenez-vous que nous sommes au mois du Lièvre de mars.

  Selon un général étasunien, l'invasion et l'occupation de l'Afghanistan ne sont pas tant une véritable guerre qu’une « guerre au discernement » (war of perception). De cette manière, la récente « libération de la ville de Marja » du « commandement et des structures de contrôle » Talibans était du pur Hollywood. Marja n'est pas une ville ; il n'y avait aucun commandement ni contrôle Taliban. Les libérateurs héroïques ont tué les habituels civils, les plus pauvres des pauvres. Autrement, c’était simulé. Cette guerre au discernement est destinée à fournir de fausses nouvelles aux gens à la maison, à faire qu’une aventure coloniale ratée semble utile et patriote, comme si The Hurt Locker [le film Démineurs] était réel et que les parades de cercueils enveloppés du drapeau à travers la ville de Wiltshire de Wooten Basset n’étaient pas une manœuvre cynique de propagande.

  « La guerre est divertissante, » disaient avec l’ironie la plus glauque les casques au Viêt-nam, voulant dire que, si une guerre se révèle n’avoir d’autre but que de justifier la puissance rapace pour la cause de fanatismes lucratifs tels que l'industrie de l'armement, le danger de la vérité fait signe. Ce danger peut être illustré par la perception libérale de Tony Blair en 1997, comme celui « qui veut créer un monde [où] l'idéologie a complètement cédé devant les valeurs » (Hugo Young, The Guardian), comparée au menteur et criminel de guerre dans le jugement du public d'aujourd'hui.

  Les États va-t-en-guerre occidentaux, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, ne sont pas menacés par les Taliban ni par quelques autres tribus repliées en des lieux lointains, mais par l'instinct pacifique de leurs propres citoyens. Considérez les sentences draconiennes prononcées à Londres pour admonester de jeunes gens qui ont protesté contre l'agression d'Israël sur Gaza en janvier de l'année dernière. À la suite des manifestations, au cours desquelles la police paramilitaire a parqué des milliers de gens, des délinquants primaires ont obtenu deux ans et demi d’incarcération pour de petites infractions non passibles de prison normalement. Des deux côtés de l'Atlantique, la contestation sérieuse qui étale l’illégalité de la guerre est devenue un délit grave.

  Le silence dans les autres hauts lieux permet cette parodie morale. S’étant vite éloignées des détritus de Blair et d’Obama aujourd’hui, les élites libérales continuent à feindre leur indifférence à la barbarie et aux objectifs des crimes des États occidentaux, en promouvant rétrospectivement la malfaisance de leurs démons bienvenus, comme Saddam Hussein, à travers les arts, la littérature, le journalisme et la loi. Avec Harold Pinter disparu, essayez de compiler une liste d'écrivains célèbres, d’artistes et d’avocats, dont les principes ne sont pas dévorés par le « marché » ou neutralisés par leur célébrité. Qui parmi eux a osé dénoncer l'holocauste en Irak durant près de 20 ans de blocus et d'agression meurtrière ? Et tout cela était délibéré. Le 22 janvier 1991, avec un détail impressionnant, la US Defence Intelligence Agency a prévu comment un blocus détruirait systématiquement le réseau d’adduction et de distribution d’eau potable de l'Irak et entraînerait « une incidence accrue, si ce n’est épidémique, des maladies. » C’est pourquoi les États-Unis se sont mis à éradiquer l'eau potable dans la population irakienne : l'une des causes, a indiqué l'Unicef, de la mort d'un demi-million de bébés irakiens de moins de cinq ans. Mais cet extrémisme n’a apparemment pas de nom.

  Norman Mailer a dit autrefois qu'il pensait que, dans leur quête sans fin de guerre et de domination, les États-Unis étaient entrés dans une ère « pré-fasciste. » Mailer semblait circonspect, comme s'il cherchait à mettre en garde contre quelque chose qu’il n’était pas encore capable de définir. « Fascisme » n'est pas exact, car il remémore des précédents de paresse historiques, évoquant une fois encore l'iconographie de la répression allemande et italienne. D'autre part, l'autoritarisme étasunien, tel que le désignait naguère le critique culturel Henry Giroux, est « plus nuancé, moins théâtral, plus rusé, moins préoccupé par les modes de contrôle répressifs que par les façons de manipuler le consentement. »

  C'est l’Américanisme, la seule idéologie prédatrice qui nie être une idéologie. Il est sans précédent que, dans leur ascension, les compagnies tentaculaires, qui sont en elles-mêmes des dictatures et une armée représentant désormais un État dans l'État, installent à Washington derrière la façade de la meilleure démocratie 35.000 lobbyistes ayant le pouvoir de soudoyer, et une culture populaire programmée pour divertir et abrutir. Plus nuancé peut-être, mais les résultats sont à la fois tout à fait clairs et familiers. Denis Halliday et Hans von Sponeck, les hauts fonctionnaires des Nations Unies en Irak pendant le blocus dirigé par les Étasuniens et les Britanniques, ne doutent absolument pas d’avoir été témoins d’un génocide. Ils ne voient pas de chambres à gaz. Insidieuse, non déclaré, présentée même avec esprit comme une illumination en marche, la Troisième guerre mondiale et ses génocides avancent, être humain après être humain.

  Dans la prochaine campagne électorale en Grande-Bretagne, les candidats ne pourront parler de cette guerre que pour faire l'éloge de « nos boys. » Les candidats sont des momies politiques quasi identiques, enveloppées dans l'Union Jack et la bannière étoilée. Comme Blair l’a démontré avec un peu trop d'empressement, l'élite britannique aime les États-Unis parce qu’ils leur permettent de se moquer et de bombarder des autochtones et se qualifier elle-même de « partenaire. » Nous devons interrompre leur amusement.

Original : www.johnpilger.com/page.asp?partid=570
Traduction copyleft de Pétrus Lombard


21 Avril 2010 / Alternatives


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Tanjaawi 215 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine