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Agoria : « Avec Infiné, on veut s'affranchir des styles et des sentiers battus »

Publié le 09 mars 2010 par Albumsono
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Aufgang, Rone, Danton Eeprom, et maintenant Clara Moto. Le label français Infiné publie depuis quelques mois une série de premiers albums réjouissants, qui élargissent le spectre de la musique électronique. Cofondateur du label, le DJ Agoria revient sur les débuts de cette aventure. Il raconte aussi la genèse de son double album mixé, «Balance 016», qui sort en mars chez EQ Recordings.

Pourquoi avoir créé Infiné ?

On est quatre comparses dans ce projet. Je suis la partie visible. Mais il y a également Alexandre Cazac, qui est aussi le manager du label Warp en France, et qui s'occupait de mes intérêts depuis plusieurs années. En 2006, on a eu la chance d'écouter un pianiste, Francesco Tristano, qui vient de la Juilliard School de New York, une excellente école de piano. On a été surpris d'entendre qu'il reprenait des grands classiques de la musique électronique. Aussi bien «Strings of Life» de Derrick May, que «The Bells» de Jeff Mills ou des morceaux beaucoup plus improbables comme « Andover » de Autechre. Tout ça, entouré dans un répertoire d'interprétations de Bach ou de Pascal Dusapin. On a été bluffés par ce mec. A la base, on a créé Infiné pour sortir son premier album «Not For Piano».

Avec Alex, depuis des années, on avait déjà cette idée en germe de créer un label. Mais Francesco a vraiment été le déclencheur. On n'est pas déçus d'avoir commencé ce petit bonhomme de chemin. On s'est toujours dit qu'on allait faire ça à la cool, sans objectif précis. Voilà... Cela fait trois ans qu'Infiné existe et les gens commencent à référencer ce label et à en parler. Mais on n'a jamais eu de plan de bataille écrit. On s'est simplement dit qu'on voulait signer des trucs qui nous excitaient et qui soient des coups de cœur, des trucs qu'on a pas le loisir d'écouter, des choses qui sortaient un peu de tout ce qu'on a l'habitude d'entendre dans la musique électronique.

Même si on est baignés par cette musique-là, on n'avait pas envie de faire un label pour ne sortir que des DJ tools. Il y a tellement de labels qui font ça très bien. On s'est juste dit : « Allons vers ce qui nous touche le plus, même si on prend des risques insensés. » On a été très surpris de voir que ce qui nous plaisait le plus, le plus risqué, est ce qui marchait le mieux. Comme quoi, on a souvent des idées bêtes et préconçues de ce que les gens vont aimer. A chaque fois, on se trompe complètement. Par exemple, le projet Aufgang, avec Tristano, Rami Khalifé et Aymeric Westrich, le batteur de Cassius, rencontre des échos extraordinaires à l'international.

Le slogan de InFiné, c'est « Easy music for the hard to please ».

Vous vous adressez donc à un public exigeant ?

Aujourd'hui, tout est très marketé, c'est une histoire d'image et de communication. Les artistes qu'on signe sont aux antipodes de ça. C'est pour ça qu'on dit que c'est pour des gens difficiles à séduire. Mais ça ne veut pas dire que c'est forcément inaudible pour un profane. «Hard to please», c'est peut-être parce que c'est pour les gens qui vont un peu plus loin que ce qu'on leur donne à écouter. C'est pour des gens qui vont par eux-mêmes trouver leur bonheur.

Aufgang, qui est sorti en France en même temps que Danton Eeprom, n'a pas bénéficié d'autant de presse ou de visibilité. Pourtant, il marche encore mieux. «Groove», un magazine allemand que j'adore, et qui est l'un des magazines les plus défricheurs pour la musique électronique donne sa couverture de mars à Aufgang. On est très content de cela, mais ce n'est pas quelque chose qu'on a recherché.

Il y avait un des morceaux de Tristano qui figurait sur un de tes mixs...

Oui, C'était la reprise de Derrick May, «Strings of Life» sur «Cute and Cult». C'est à ce moment-là qu'on a rencontré Francesco. En 2005, je crois. On avait enregistré dans un petit studio, vite fait, pour pouvoir le mettre sur la compilation.

Dans la foulée de Tristano, vous avez signé d'autres artistes...

Oui, la deuxième signature, ça a été Danton Eeprom. J'avais entendu un morceau qu'il avait sorti sur le label Virgo, le label d'un Marseillais qui s'appelle Paul. J'avais flashé sur la B-Side. Et donc, je suis rentré en contact avec lui. Je lui ai proposé de nous envoyer des choses qu'il avait faites. Bonne pioche ! Depuis, le petit père a un début de carrière prometteur. Le troisième, c'est le Mexicain Cubenx. Sa musique dancefloor et mélancolique nous a beaucoup séduit. Pendant cette période, j'ai rencontré Clara Moto. On a joué ensemble au Montreux Jazz Festival. L'organisation avait oublié de me chercher à la gare, ça nous a permis de discuter un petit peu. Elle sortait juste de la Red Bull Music Academy. J'ai été séduit par ses morceaux, donc on a très vite fait un disque avec elle.

Mais on essaie de ne pas trop signer d'artistes, de ne pas nous éparpiller. Demain, je pourrais très bien appeler James Holden ou Carl Craig pour leur demander des morceaux afin d'avoir plus d'exposition. Et on s'est ditqu'on voudrait quelque chose avec nos artistes uniquement, pour avoir un côté fraternel et familial avec Infiné.

Comment définirais-tu « Polyamour », l'album de Clara Moto ?

C'est de la techno touchante et plutôt minimale, même si je n'aime pas beaucoup ce mot. Je préfère parler de minimalisme. La minimale, ça porte bien son nom : en général, avec deux ou trois plugs, certains font un morceau qu'on oublie tout aussi vite. Clara Moto, c'est beaucoup plus touchant et profond. C'est une artiste qui a une musique très sensuelle douce et suave, un peu à son image. Dans la vie de tous les jours, c'est un petit ange. Au premier abord, elle a l'air de quelqu'un très fragile et au final, elle est solide. On sent tout cela dans sa musique. Sa personnalité me touche beaucoup. Les morceaux chantés avec Mimu, c'est tout ce que j'aime dans la deep house.

Tu as pas mal retravaillé son album, pourquoi ?

Dans la musique électronique, la production est très importante. Ce qu'on pourrait souvent faire comme grief aux albums technos, c'est que c'est plus une collection de morceaux ou de maxis. Ils sont parfois un peu longs et les albums durs à écouter : 7 ou 8 minutes fois dix. On est un peu lassés au bout d'un moment. On l'a donc poussé à éditer les morceaux et à aller à l'essentiel. Un mec comme Rone nous a donné son album, « Spanish Breakfast », on a quasiment rien eu besoin de lui dire. Il n'était pas DJ, donc il n'avait pas cette notion de boucle et de loop et de répétition. L'évolution de l'album était plus simple.

Quand on n'est pas DJ, c'est donc plus facile de composer ?

Il y a une codification dans la musique électronique. Par exemple, pour qu'un DJ ait le temps de jouer son disque, il faut une minute de beats au début pour le rentrer facilement afin que que ça soit fluide. Sur l'album, on n'a pas besoin que les morceaux s'enchaînent bien les uns avec les autres. Ce n'est pas forcément le même travail de production que pour un maxi, où il faut penser au DJ qui va le jouer.

Quelles sont vos prochaines signatures ?

Les Spitzer, qui sont très proches de moi, et Arandel, dont on va sortir l'album en avril. Ce jeune fou a décidé de faire un album uniquement autour du mi bémol. Tous les morceaux sont en mi bémol et reprennent uniquement les mêmes instruments. Ça m'a totalement bluffé. Francesco Tristano nous avait fait le disque «Auricle», deux pièces de 20 à 25 minutes. J'ai demandé à Arandel s'il voulait nous faire aussi quelque chose de conceptuel. Il est venu avec ce projet barré, le résultat est extraordinaire.

Infiné éclate les genres, non ?

On veut s'affranchir des styles et des sentiers battus. On veut créer de la surprise. Quand les gens achètent ou écoutent un disque d'Infiné, ils peuvent être surpris. Dans les années 1990, j'achetais des disques sans même savoir ce qu'il y avait dessus. Aujourd'hui, c'est impensable, quand on achète le disque, on sait ce qu'on va écouter. En raison de l'accessibilité à outrance de la musique, on perd cette cette naïveté et cette virginité.

Ton troisième mix, le double CD « Balance 016 », sort ce mois-ci.

Ce mix m'a pris beaucoup de temps. J'ai passé trois ou quatre mois à chercher les morceaux. Je me suis demandé l'intérêt de faire une nouvelle compilation mixée alors qu'il y a des podcasts chaque jour sur plein de sites Internet. Mon premier CD, « Cute and Cult » avait été fait uniquement de façon analogique, avec des platines et des CD, sans aucun artifice, sans ordinateur. Le deuxième avait été fait avec un mélange de tout ça.

J'ai fait un mix qui n'est pas linéaire, mais circulaire. C'est un cycle : je commence et je finis avec le même morceau. Le milieu du mix, sur le CD1, est la pointe d'un triangle... Après, on redescend doucement. Je perds volontairement l'auditeur pendant deux ou trois minutes pour le recaresser vers la descente. J'ai beaucoup aimé ce travail de superposition de couches pour arriver à ça, à un certain équilibre. C'est le juste milieu entre toutes les influences musicales et des manières de mixer et d'appréhender la recherche musicale.

On a fait un concours pour trouver des nouveaux artistes : on a reçu près de 1000 morceaux, j'en ai trouvé une quinzaine qui m'ont vraiment plu. J'en ai mis un sur le CD, les Polonais de The Same. Mais une douzaine de morceaux sont exclusifs sur ce CD : je les ai trouvés via mes réseaux, via Internet ou des blogs. Et pour que ça ne soit pas trop daté dans le temps, je suis allé chercher dans mes disques... J'ai retrouvé par hasard un disque d'Avril qui reprenait « French Kiss ». J'ai aussi demandé à mes amis de me faire écouter tout ce que je pourrai ne pas connaître. Chacun m'a amené cinq disques. Avec toute cette foison musicale, le concept de « Balance » est venu de lui-même.

Tu travailles actuellement sur ton prochain album...

C'est difficile d'en parler, car je suis vraiment dedans. Je n'ai aucun recul. J'ai souvent fait des albums très éclectiques. Il est possible que celui-ci soit plus homogène.

Tu vas le signer sur le label Infiné ?

Je pense, oui. Pendant les premières années, je ne voulais pas vampiriser avec mon nom les artistes que je signais, alors qu'ils faisaient quelque chose de totalement différent. J'ai bien aimé le fait que les artistes existent par eux-mêmes, avant même que les gens savent que c'était mon label. Aujourd'hui, maintenant que le label existe par lui-même, je n'ai pas de scrupule à faire ça. Je n'ai aucune envie d'aller signer sur une major. C'est ma petite maison à moi... Je me vois souvent comme un paysan.

Pendant que tu composes cet album, tu continues de jouer en club...

En ce moment, je fais beaucoup de choses. Je suis un peu passé à côté des tournées et des festivals quand j'ai créé la musique du film « Go Fast ». Aujourd'hui, je suis très content d'y revenir avec ma compilation. Car c'est toujours un bonheur de voyager, de rencontrer d'autres cultures. Pendant la création d'un album, ces voyages aident aussi à la maturation des idées. Les précédents albums, j'étais beaucoup plus cloisonné.

Tu n'es pas lassé du clubbing ?

J'ai joué à Moscou récemment. Je suis arrivé à 23h, je suis reparti à 7h, parce qu'il n'y avait pas d'autre vol. Mais la soirée, dans une usine désaffectée, était extraordinaire. Les Moscovites étaient vraiment là pour faire la fête. Le jour où j'arriverai sur scène et que je n'aurai plus envie de m'amuser, là il faudra que je me pose la question de savoir s'il faut continuer. A 40 ans, je me demanderai si n'est pas ridicule de faire danser des jeunes de 20 ans. Faudrait demander à Laurent [Garnier] ce qu'il en pense. Je le vois toujours comme un enfant quand il joue. Il a ce regard et cette envie. Si j'arrive à garder cette fraîcheur, je pense que je continuerai. Mais physiquement, c'est assez difficile.

Laurent Garnier, que représente-t-il pour toi ?

Il m'a toujours beaucoup aidé, même si je n'ai jamais été sur son label. Partout dans le monde, il a toujours prêché la bonne parole me concernant. C'est quelqu'un que j'apprécie à chaque fois de rencontrer et de jouer avec. Il te donne toujours cette énergie que tu peux perdre dans les méandres du clubbing.

Recueilli par Lil' Joe


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