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Tierno Monemembo : Les écailles du ciel

Par Gangoueus @lareus
Tierno Monemembo : Les écailles du ciel
Un peul peut en cacher un autre. Formule de circonstance, car j’ai quasiment lu ces deux derniers ouvrages en même temps. Pour être plus précis, j’avais commencé par l’auteur guinéen (Monémembo), j’ai poursuivi d’une traite le récit autobiographique du romancier malien (Hampâté Bâ), avant de me replonger dans « Les écailles du ciel ».
J’ai effectivement eu un peu de mal à rentrer dans ce texte de Tierno Monemembo. Le style dans un premier temps m’a paru quelque peu laborieux. L’introduction du personnage narrateur, le griot Koulloun, sa présentation de la buvette chez Ngaoulo dans Leydi-Bondi au coeur des bas-fonds d’une grande ville africaine avec ses piliers de bars Mawoudo Marsail, le tirailleur globetrotteur, Bappa Yala le tailleur, Simiti, Bagan, Mankus… Suivi par l’arrivée de Bandiougou, homme blessé par la vie, digne malgré tout mais dont la détresse va susciter l'attention des hôtes de Ngaoulo. Pour terminer, l'entrée en scène de l’énigmatique Cousin Samba, personnage peu loquace, au regard absent…
Koulloun brosse d’abord l’atmosphère de ce quartier mal famé, puis celle de ce troquet où les personnages semblent se défaire de l’apesanteur. Puis il se lance dans la narration de l’histoire du mystérieux Cousin Samba. Il est intéressant pour le lecteur de constater que la construction du texte s’affine sur cette partie du roman. Je me suis surpris entrain de relire plusieurs phrases magnifiques. Monemembo prend un certain plaisir à manipuler la langue française. Le voilà qui parle de ces peuls, dont Cousin Samba fait partie :
« Si les regards sont volontiers timides, c’est pour mieux cacher la ruse atavique. Si les gestes sont gauches, c’est pour mieux enfouir le penchant à la fourberie. Si les voix sont feutrées et même obséquieuses, il y a là-dessous une âme entêtée naturellement rebelle, consciencieusement rogue.
Ici, la solitude est un réflexe. Les cœurs sont gros et chatouilleux : chacun a vite fait de s’effaroucher pour un oui ou pour non et d’aller planter sa hutte plus loin. Il paraît que cela vient de l’eau de ce pays, de son air malicieusement irritant et qui exalte l’orgueil. C’est de son sang fielleux que vient le caractère indubitablement difficile, savoureusement grognard. Je dis que c’est une terre de douce férocité, de mesquines querelles et de rancunes tenaces qui explosent en esclandres meurtriers. Un effluve de tourment et de folie sort de ses bois, de ses marais, du front coriace de ses hommes. Je dis que c’est un pays discret et radin ; que ses hommes portent volontiers la guenille, auraient-ils nombre de terres et de bœufs. Mais la guenille n’ôte rien à la fierté. Le plus mal vêtu va un pas de prince, jetant un regard paresseux et méprisant sur les hommes et les choses. »
Page 32, Collection Points.
Koulloun raconte l’histoire de cette terre où vit le jour Cousin Samba, il donne la parole au vieux Sibé, grand-père de ce jeune homme, qu’il initiera plus tard à la pharmacopée et qui liera avec Samba une relation très particulière. Sibé raconte sa version de l’histoire, en particulier sur la résistance du roi Fargnitéré lors de la bataille de Bombah contre les troupes coloniales. Comme dans le récit d’Hampâté Bâ, il est question des bouleversements produits par l’administration coloniale dans cette localité. Comme par exemple cet administrateur imposant dans toute la région la culture de l’hévéa en lieu et place du manioc, élément de base des populations de ces contrées, provocant ainsi une catastrophe. Ou encore la difficile implantation d’une école à Kolisoko.
Cousin Samba continue sa route, fuyant son village qui le soupçonne avec son grand-père d’être à l’origine du décès de ses parents.
Koulloun poursuit les mésaventures de Cousin Samba de village en ville. Etrange personnage quasi muet qui semble se laisser porter par les événements. Le style de l’auteur est moins percutant dans sa description de ce qui s'apparente à l’épisode de la dictature de Sékou Touré. Comme si les épisodes tragiques de la résistance indigène au diktat colonial inspiraient plus l’écrivain, que les déboires grandissants de notre despote. L’écriture de Monémembo reste néanmoins de très bonne facture. Ceux qui liront cet ouvrage auront l’occasion de faire le lien entre le troquet et les différents personnages en lien avec Samba.
Etrange histoire où le principal acteur est silencieux, subissant la grande histoire, au point d'en être réduit à une ombre.
Tierno Monémembo, Les écailles du ciel
Editions du Seuil, 1ère parution en 1986, 192 pages
Grand Prix Littéraire d’Afrique noire 1986
Voir les critiques sur La plume francophone ou sur Ballades et escales en littérature africaine.

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