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Akhenaton : Du mystère à la lumière

Publié le 25 janvier 2010 par Sébastien Michel
Marc Gabolde,
Editions Gallimard, "Découvertes Histoire", n° 478, novembre 2005, 128 pages

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Les éditions Gallimard viennent de publier un ouvrage clair, instructif et soigneusement illustré sur le règne et l’influence du pharaon Akhenaton, inventeur vers 1350 avant J.-C du premier monothéisme de l’histoire. L’auteur est un égyptologue spécialiste de la période amarnienne1. Maître de conférence à l’Université Paul Valéry-Montpellier III, il dirige actuellement une mission archéologique dans la nécropole royale de Tell el-Amarna.
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Le titre accrocheur mais justement formulé possède un double sens. Si Akhenaton (1356-1339 av. J.-C.) a fait l’objet de nombreuses études, souvent passionnées depuis le XIXe siècle, la documentation archéologique le concernant reste pauvre et fragmentaire. L’une des raisons est que ses successeurs ont voulu effacer la mémoire du roi « hérétique » : il disparut ainsi des chroniques royales sous son ancien général Horemheb et, sur les monuments, les noms et représentations iconographiques de la famille royale furent systématiquement mutilés. Entre les faits archéologiques reconnus et les zones d’ombre, Marc Gabolde revendique « le recours à l’intuition (…) pour combler les lacunes ». Selon l’auteur, « la spéculation n’est pas un dévoiement de la méthode historique, mais son essence même » (p. 13).
La « lumière » qui figure dans le titre symbolise par ailleurs le culte unique voulu par le dixième roi de la XVIIIe dynastie. Amenhotep IV (ou Aménophis IV, futur Akhenaton) n’a que dix ans lorsqu’il succède à son père Aménophis III (1393-1356 av. J.-C.). Le royaume est alors redouté et prospère. L’Egypte établit à la fois des Etats vassaux en Palestine et des relations diplomatiques avec ses voisins de Mésopotamie qui lui assurent la paix à ses frontières, au nord. Avec son épouse Nefertiti², le nouveau pharaon va rapidement mettre en place le culte unique du disque-Aton, manifestation visible du dieu solaire qui dispense la vie et entretient la création. Il bouscule ainsi des siècles de polythéisme et le puissant clergé de Thèbes (gardien du sanctuaire d’Amon à Karnak, le dieu « caché », le dieu du « mystère »).


La révolution d’Aton : de la lumière à l’obscurité
Dès le début du règne, un grand complexe cultuel est dédié au disque solaire à Thèbes, sur la rive droite du Nil. Les anciennes divinités sont encore vénérées. Dans les nouveaux temples, le « dieu » n’est plus caché dans le naos (salle fermée, obscure et renfermant la statue du dieu local). Les cours des sanctuaires sont dorénavant à ciel ouvert. De nouvelles techniques de construction sont imaginées pour ériger rapidement les futurs édifices (p. 37). Les grandes pierres de calcaire ou de grès sont ainsi remplacées par des briques crues (appelées « talatates »), plus aisées à transporter et à assembler.
Devant les réactions hostiles des prêtres d’Amon, le pharaon fonde une nouvelle capitale sur le site actuel de Tell el-Amarna, Akhetaton (« l’Horizon d’Aton »), en 1351 avant J.-C. (an V), dans un territoire pratiquement vierge entre Memphis au nord et Thèbes au sud. La ville, sorte de Versailles antique, comptera jusqu’à 50 000 habitants. Il y fait venir hauts fonctionnaires (pour lesquels il accordera des villas, des esclaves, des revenus importants… pour les inciter à s’installer dans la cité sainte) ainsi que des milliers d’artisans et ouvriers.
Amenhotep IV s’appelle désormais Akhenaton (« Celui qui est profitable à Aton ») et commande, vers l’an VI, la destruction sur tous les édifices du nom et des images d’Amon. La « fureur iconoclaste » s’étend ensuite aux autres divinités. Cependant, cette « réforme » religieuse reste limitée pour l’essentiel à la région thébaine. De nombreux sanctuaires et monuments furent épargnés, soit « par négligence, lassitude ou respect des dieux » (p. 42). Pour une grande partie de la population, le fait qu’Akhenaton ait délaissé les cultes traditionnels et n’ait pas honoré les anciennes divinités a sans doute été considéré comme « impie ».
Il y a une corégence, manifeste dans l’art et les rituels, entre le dieu solaire et le roi terrestre. Aton étant muet et inaccessible (mais contrairement au Dieu de l’Ancien Testament, il ne révèle rien et n’a aucune « dimension éthique »), l’adoration du pharaon et de sa famille devint le seul moyen officiel d’accès au monde divin. Des reliefs représentent Akhenaton, Nefertiti et ses enfants dans des scènes intimes et émouvantes, sous la protection des rayons du disque solaire. L’art amarnien commencé à Thèbes se déploie de façon étonnante dans des figures royales allongées, à l’ossature apparente, et aux traits marqués (voir les belles illustrations commentées des pages 47 à 50). Cet art accorde aussi plus de place à la nature et à la flore, censées « refléter l’œuvre créatrice » d’Aton (p. 70-71).
Pour Marc Gabolde qui reprend dans une remarquable synthèse les travaux de l’Allemand Jan Assmann, la remise en cause du polythéisme s’inscrirait dans une crise religieuse plus ancienne. Il y aurait une nouvelle « phénoménologie » qui se serait mise lentement en place durant la XVIIIe dynastie. Seuls « les phénomènes accessibles aux sens » auraient tendance à être pris en compte et aboliraient « de fait tout l’imaginaire, la mythologie et les spéculations théologiques d’autrefois » (p. 44). De plus, les pratiques religieuses seraient devenues plus personnelles et inquiètes. Le scepticisme sur le sens de l’embaumement et sur l’au-delà s’exprimeraient d’ailleurs bien avant le règne d’Amenhotep IV (voir les Chants du harpiste dits aussi Litanie d’Antef, texte célèbre qui perdurera jusqu’à l’époque ptolémaïque). Les statues et autres images des défunts (p. 52-3) n’hésiteraient plus à figurer la douleur des deuils3 et les doutes sur la vie après la mort.
A la fin du règne, plusieurs épreuves frappent l’Egypte et sont perçues à l’époque comme des châtiments divins. De nombreux décès endeuillent la famille royale. Une épidémie de peste en serait à l’origine. En 1339 avant J.-C., les armées égyptiennes, envoyées en Syrie pour mater une révolte des peuples vassaux et soutenue par les Hittites, sont sévèrement battues.
Après la mort d’Akhenaton à l’âge de vingt-sept ans, la mémoire du roi sera persécutée, la cité royale abandonnée, devenant une « Pompéi des sables » et le culte unique d’Aton disparaîtra. Toutânkhamon (dernier enfant d’Akhenaton) restaurera, à la suite de sa soeur Merytaton, les anciens cultes et transférera, dans la Vallée des Rois, la dépouille de son père enterré à Amarna.
La postérité d’Akhenaton
L’influence d’Akhenaton fut perceptible chez ses successeurs : ainsi, la divinisation de Ramsès II repris le modèle du roi « hérétique ». La piété personnelle fut également plus affirmée tandis que l’art amarnien, notamment dans ses thèmes naturalistes, s’épanouit dans la sculpture ramesside.
Au XIXe siècle, la découverte de la théologie établie par Akhenaton remit en cause l’évolution déterministe des religions. Plus tard, le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, établit en 1939 une comparaison entre Moïse et le pharaon, ces deux derniers étant vus comme des « despotes éclairés4 ».
Erik Hornung, professeur d’égyptologie à Bâle, fait d’Akhenaton le « premier homme moderne5 » dans l’invention d’un « principe unique » expliquant « la création du monde ». Laissons à E. Hornung le soin de la conclusion dans un extrait qui résume bien les interrogations actuelles, parfois fantasmées6, que la pensée révolutionnaire d’Akhenaton continue de susciter : l’échec du pharaon montrerait selon le chercheur que « nous sommes rattrapés et dominés par tout ce que nous négligeons ou refoulons. Akhenaton était peut-être le premier fondamentaliste de l’histoire, et c’est pour cette raison qu’il est aujourd’hui encore un de nos contemporains, et qu’il est impossible de ne pas nuancer de respect et de sympathie la critique de son action » (p. 115).
1. Du nom de la capitale établie par Akhenaton à partir de 1351 av. J.-C. sur le site actuel de Tell el-Amarna.
2. Le célèbre buste de Nefertiti a été retrouvé à Tell el-Amarna, dans l’atelier du sculpteur Thoutmosis même s’il fut vraisemblablement exécuté à Thèbes selon Marc Gabolde. Rapporté en Allemagne après sa découverte en 1912 par l’archéologue Ludwig Borchardt, la sculpture de la reine, par la perfection et la régularité de ses traits, est considérée comme l’un des symboles de l’art et de la beauté antiques.
3. On ignore ce qu’il en fut de la momification sous le règne d’Akhenaton, aucune dépouille de la famille royale n’ayant été retrouvée dans les tombes de Tell el-Amarna.
4. Sigmund Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, Folio essais, 1986.
5. Erich Hornung, Akhenaten and the Religion of Light, Cornell University Press, Ithaca and London, 1999.
6. Voir en particulier la représentation qu’en donne E. P. Jacobs dans sa célèbre bande dessinée Le mystère de la Grande Pyramide parue en 1950.

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