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Rachida Dati : bons procès, mauvais procès

Publié le 18 décembre 2009 par Variae

Rachida Dati n’est pas un personnage politique qui suscite l’empathie, et encore moins la sympathie. Figure arrogante de la droite sarkozyste, piètre – semble-t-il – Garde des Sceaux. Son parachutage aux municipales à Paris, puis aux élections européennes, semble dessiner le parfait parcours d’une apparatchik « hors-sol », qui doit son cursus honorum d’élue à un puissant protecteur – le Président de la République en l’occurrence – plus qu’à un mérite personnel.

Rachida Dati : bons procès, mauvais procès

Rachida Dati n’a donc rien (fait) qui la prédispose à devenir l’idole des Français, et à plus forte raison des femmes et des hommes de gauche de ce pays. Ce qui est une litote : peu de responsables politiques de notre pays, en fait, ont été ou sont la cible d’autant d’attaques, et aussi violentes. L’ex-eurodéputé socialiste Gilles Savary en a encore fait mercredi la démonstration, avec un billet au vitriol à partir du dernier exploit en date de la néo-députée. Femme tout juste digne de « misérables intrigues d’arrivistes et de lèche-culs », « arriviste sous protectorat élyséen » ; une bonne à rien, une amuseuse de la « galerie politique » qui, arrivée à Bruxelles, « ne comprend plus rien à la politique », pas même le fait qu’il faille « travailler pour pouvoir commenter ». La charge est terrible, le portrait dévastateur ; il synthétise en quelques lignes tout ce que l’on a pu dire de pire sur la jeune femme, goût du luxe et instrumentalisation de ses charmes mis à part.

Qu’est-ce qui a déclenché cette canonnade de l’ancien résident bruxellois ? Un des derniers buzz en date de la sphère politico-médiatique, une affaire de micro-cravate oublié, et captant, à l’insu de Rachida Dati, des commentaires tenus par elle à une amie, au sujet de son ennui au Parlement européen. La révélation, comme il se doit, a « vécu » médiatiquement pendant plusieurs jours. Elle confirmait ce que tout le monde disait pressentir : Rachida, une paresseuse, une incapable, venue au Parlement européen au mieux pour faire carrière, au pire pour toucher de confortables émoluments. Cible d’aubaine, s’il en est, pour le ressentiment anti-élus, anti-élites qui monte depuis quelques années dans la société française.

Pourtant, et même si elle constitue à bien des égards une parfaite tête-à-claques du paysage politique français, il faut s’interroger sur ce dernier lynchage en règle de l’ancienne Garde des Sceaux, et plus largement sur les motivations et l’équité des attaques qu’elle subit régulièrement depuis son arrivée au devant de la scène.

Revenons d’abord sur l’affaire du micro oublié. Que révèle-t-elle ? Que Rachida Dati, au téléphone avec une amie, plaisante avec elle sur son ennui au parlement. Deux remarques ici s’imposent. D’abord, sur le fond de ces propos volés. Bien sûr qu’ils semblent immatures dans la bouche d’une élue de la nation. Mais il s’agit, précisément, de propos tenus dans le cadre d’une conversation privée et amicale. En quoi peut-on être sûr qu’ils reflètent le fond de la pensée de Dati ? Qu’elle pense toujours de la sorte ? Qu’elle met ses actes en conformité avec cet état d’esprit ? Depuis quand des propos doivent-ils être compris unidimensionellement, sans prendre en compte le contexte d’énonciation ? Un responsable politique doit-il être pénétré totalement de sa fonction, au point de devoir à chaque instant de sa vie être un modèle façon image d’Épinal, une statue du commandeur sans droit au relâchement, sans droit de jamais dire des conneries ? Un premier degré permanent et vertueux ?

La technique de l’enregistrement volé est grisante car elle nous semble révéler le caché, le secret, tout ce qui par définition nous échappe. La vérité des êtres, en somme. Mais il n’y a pas de « vérité » des êtres, et en particulier des personnages publics. Il y a le personnage public, et il y a sa vie privée, et notamment sa pensée privée. Celle-là, par définition, ne devrait pas nous intéresser. Pour paraphraser Malraux, cette part de chaque homme ou femme n’est souvent qu’un « misérable tas de petits secrets ». A l’extrême, les plus grands hommes ou femmes d’État pourraient très bien être, dans l’intime, de parfaits salopards, ou des gens complètement inintéressants. Mais parce qu’ils sont hommes ou femmes politiques, la vérité de leur fonction se situe dans leur comportement et leurs réalisations politiques, donc publiques. Point final. En l’occurrence, le bilan parlementaire de Rachida Dati m’intéressera bien plus que toutes les conversations que l’on pourra lui voler.

La mise à jour de la part privée d’un personnage politique ne révèle rien de ce qui fait son statut, c’est-à-dire de son action politique ; en revanche, elle nous fait basculer dans une idéologie dangereuse de la transparence totale, qui détruit la barrière entre privé et public, à un moment où justement ces catégories sont brouillées et réorganisées par Internet, et notamment par l’explosion des réseaux sociaux. Mais que les frontières changent et fluctuent ne veut pas dire qu’elles doivent, pour autant, disparaître. Il y a un nouvel équilibre à trouver. Il ne se situe pas, à mon avis, du côté du « tout transparent, tout le temps, pour tout le monde ». Car ce qui nous fait rire ou nous révolte pour Dati pourrait bien se retourner contre tout quidam. Aimerait-on voir son employeur, ou sa compagnie d’assurance, arguer de tel ou tel épisode volé de sa vie passée pour refuser un contrat ou faire un quelconque chantage ? De même que l’on parle maintenant d’un droit à l’oubli, il faut repenser un droit à l’intime.

La deuxième réflexion que m’inspire cette « caméra cachée » est plus spécifiquement relative au personnage Dati, et à ce qu’il représente. Je signalais au début de ce billet que ses réalisations politiques, pour le moment, étaient pour le moins limitées. C’est une caractéristique, avouons-le, qu’elle partage avec bon nombre de femmes et d’hommes politiques du gouvernement, de la majorité, et au-delà. Ministre fantoche peut-être, mais plus que toutes celles et tous ceux qui ont récupéré les ministères régaliens où le pouvoir est en réalité entre les mains des conseillers de Nicolas Sarkozy ? Parlementaire peu impliqué, à voir, mais à ce compte-là elle appartient à une confrérie qui ne se limite sans doute pas à sa seule personne ! Alors pourquoi est-elle devenue cette cible privilégiée ? On dira : à cause, justement, de son personnage, frivole, aimant le luxe et les couvertures de magazine, réussissant par son physique. On n’a jamais fait ce dernier reproche à une Carla Bruni, par exemple. Et que dire de ces nombreux responsables politiques qui mènent un train de vie peut-être moins visible, mais tout aussi (et même plus) dispendieux : collectionneurs d’art, éleveurs de chevaux de course, heureux possesseurs de propriétés immobilières au Maghreb, au hasard ?

On continuera : oui mais justement, Dati fait dans le tapageur. Style nouveau riche, parvenu ! Le mot est lâché. Le parvenu, cet aventurier qui a commis la transgression inacceptable, celle de franchir la barrière de classe, de s’enrichir ET d’afficher son enrichissement. Pauvres, « exclus », enrichissez-vous, réussissez, gravissez l’échelle sociale, mais surtout ayez le triomphe modeste. Adoptez la retenue qui sied aux « rags to riches », la pudeur, même ! Et si possible, restez fidèles à votre milieu d’origine. Toute rupture avec ses codes, ses attendus, son imagerie, sera interprétée comme trahison, avilissement. Je m’amusais en écoutant l’eurodéputée verte Karima Delli interviewée par Pascale Clarke, il y a quelques jours. Je m’amusais à compter combien elle rappelait, et on lui rappelait, qu’elle était enracinée dans le mouvement social, éloignée du bling bling, etc. C’est sans aucun doute vrai, et son travail de députée européenne sera certainement de qualité. Mais je ne pouvais m’empêcher de me faire la réflexion suivante : est-ce que l’on n’aime bien les « Arabes », en France, et plus largement tous les « immigrés », que quand ils sont fidèles à un certain type de réussite qu’on leur réserve et que l’on attend d’eux ? Le militant des quartiers, sage digne et modeste, qui refuse à la fois la casquette à l’envers qui traumatise Morano, et les signes extérieurs de réussite ?

Rachida Dati est la femme de toutes les transgressions. Mais la plus grande de ses transgressions n’est pas celle qu’elle affirme elle-même, à savoir le fait d’être une femme en politique. C’est celle d’être non seulement une parvenue, mais basanée qui plus est. La République est une bonne mère, mais elle aime que ses enfants restent à la place qui est la leur, et se cantonnent aux parcours balisés. S’élever lentement de la terre par méritocratie, accéder à la bourgeoisie après plusieurs générations de dur et patient labeur, oui, trois fois oui ! Mais prendre l’ascenseur, et avec ostentation qui plus est, « parvenir » – et puis quoi encore ? Les anciens riches, les bourgeois établis, les WASP à la sauce française peuvent bien s’adonner au lucre, au népotisme, à l’endogamie via les grandes écoles, aux courses à Saint Germain ou avenue Montaigne, on fermera les yeux, c’est leur droit du sang, c’est dans la nature des choses. Mais que ceux qui aspirent à ce statut sans y être nés se tiennent à carreau.

Alors Rachida Dati, personnalité politique médiocre, arriviste caricaturale, oui, probablement. Attaquons-la sur ses manquements et ses fautes politiques. Il y aura à dire et à faire. Mais refusons tous les mauvais procès qui lui sont faits et qui en disent plus long sur les tares et les crispations de notre société – donc de nous – que sur les erreurs réellement commises par elle.

Romain Pigenel


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