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La vérité sur la vérité ?

Par Perce-Neige
La vérité sur la vérité ?

Bien sûr, je connaissais, depuis longtemps, l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint et avais lu, avec beaucoup de plaisir, quelques-uns de ses romans. Mais j’ignorais, jusqu’à lire un billet de Christine Génin, que le même était à l’origine d’un site tout à fait enthousiasmant, passionnant par ce qu’il révèle, à l’ère du numérique, du processus créatif. Photos, vidéos, variantes n’expliquent rien, naturellement, mais suggèrent d’autres perspectives, d’autres hypothèses, d’autres versions d’une même réalité, d’autres horizons jusque là inexplorés. Il me semble que la littérature - ou ce qu’il en reste - devrait désormais ressembler à cela... Alors, juste pour le plaisir, et pour qui aurait inexplicablement boudé son libraire, ces derniers temps, ce bref extrait de « La vérité sur Marie » (Ed. de Minuit) : « Marie entendit de très loin les sirènes d'une ambulance, et elle se releva pour se précipiter

à

la fenêtre, pataugeant, les pieds nus, dans les traînées de pluie qui s'étaient accumulées sur le parquet au pied de la croisée ouverte. Marie, nue

à

la fenêtre, indifférente au vent et

à

la pluie, qui guettait l'arrivée de l'ambulance qui remontait la rue Croix-des-Petits-Champs, apercevant au loin les premières lueurs de gyrophares qui se mêlaient aux sons grandissants des sirènes qui approchaient, et ce ne fut pas un, mais deux véhicules de secours, qui surgirent dans la nuit

à

l'angle de la rue de La Vrillière dans des tournoiements de gyrophares bleus et blancs qui clignotaient sous la pluie battante, une grande ambulance blanche du Samu et un véhicule break médicalisé qui monta sur le trottoir pour s'immobiliser contre la façade de l'immeuble. Deux silhouettes émergèrent d'un des véhicules, tandis que les secouristes du Samu faisaient claquer les portières et pressaient le pas sous la pluie en baissant la tête sous l'averse, chargés de sacoches et de sacs

à

dos médicaux hissés sur leurs épaules. Le groupe se hâta sur le trottoir, pressant le pas pour entrer dans l'immeuble, mais ils restèrent bloqués en bas, coupés dans leur élan, la porte cochère demeurant coincée malgré leurs poussées répétées et leurs tentatives de forcer le passage. L'un d'eux fit demi-tour, recula jusqu'au milieu de la rue et leva la tête vers l'immeuble. Le visage dégoulinant de

pluie, il finit par apercevoir Marie à la fenêtre et lui cria que la porte était fermée. Marie lui donna aussitôt le code de l'immeuble, mais se trompa, donna l'ancien, elle ne savait plus, elle donna le nouveau, le cria à plusieurs reprises entre ses mains, et courut dans le couloir pour aller ouvrir la porte de l'appartement. Elle fit un pas sur le palier et entendit le mécanisme de la porte cochère se débloquer en contrebas, déjà des pas résonnaient dans le vestibule, et elle entendit la lourde foulée des secouristes qui montaient les escaliers pour apparaître presque aussitôt devant elle dans l'obscurité. Ils entrèrent sans un mot dans l'appartement où aucune lumière n'était allumée, seule la faible veilleuse bleue de l'ordinateur luisait encore dans la chambre. Les secouristes étaient cinq, quatre hommes et une femme. Ils traversèrent le couloir d'un pas décidé et se dirigèrent à grandes enjambées vers la chambre sans demander leur chemin, comme s'ils savaient où elle était, comme s'ils avaient toujours su où se trouvait la chambre, et, avant toute chose, avant même de jeter un coup d' œil sur le corps étendu par terre, avant même de l'examiner ou de lui prodiguer le moindre soin, ils firent de la lumière dans la pièce, il n'y avait pas de plafonnier dans la chambre, mais une multitude de petites lampes que Marie avait réunies depuis plusieurs années, la Tizio de Richard Sapper, la Tolomeo à tête chromée d'Artemide, la Titania d'Alberto Meda

&

Paolo Rizzatto, l'Itty Bitty d'Outlook Zelco, qu'ils allumèrent toutes à la fois, les cinq secouristes se dispersant aux quatre coins de la chambre pour allumer toutes les lampes à la fois et ce n'est qu'alors, debout parmi les secouristes au milieu de la chambre rendue à la totalité de ses jeux de lumières, que Marie se rendit compte qu'elle était nue.

»


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