Y a-t-il différentes façons de vieillir selon qu’on a été beau ou laid ? Réponse dans ce qui suit... Gainsbourg rappelait à ce propos le mot de Lichtenberg : « la laideur a ceci de supérieur à la beauté, c’est qu’elle dure ! »
« Il y avait des hommes que je savais parents d'autres sans
avoir jamais pensé qu'ils eussent un trait commun ; en admirant le vieil ermite aux cheveux blancs qu'était devenu Legrandin, tout d'un coup je
constatai, je peux dire que je découvris avec une satisfaction de zoologiste, dans le méplat de ses joues, la construction de celles de son jeune
neveu Léonor de Cambremer qui pourtant avait l'air de ne lui ressembler nullement.
Les traits où s'était gravée sinon la jeunesse, du moins la beauté ayant disparu chez les femmes, elles avaient cherché si avec le visage qui leur restait on ne pouvait s'en faire une autre. Déplaçant le centre sinon de gravité, du moins de perspective de leur visage, en composant les traits autour de lui suivant un autre caractère, elles commençaient à cinquante ans une nouvelle sorte de beauté, comme on prend sur le tard un nouveau métier ; ou comme à une terre qui ne vaut plus rien pour la vigne on fait produire des betteraves. Autour de ces traits nouveaux on faisait fleurir une nouvelle jeunesse.
Seules ne pouvaient s'accommoder de ces transformations les
femmes trop belles, ou les trop laides. Les premières, sculptées comme un marbre aux lignes définitives duquel on ne peut plus rien changer, s'effritaient
comme une statue. Les secondes, celles qui avaient quelque difformité de la face, avaient même sur les belles certains avantages. D'abord c'étaient les seules qu'on reconnaissait tout de suite. On savait qu'il n'y avait pas à Paris deux bouches pareilles et la leur me les faisait reconnaître dans cette
matinée où je ne reconnaissais plus personne. Et puis elles n'avaient même pas l'air d'avoir vieilli. La vieillesse est quelque chose d'humain ; elles étaient des monstres, et elles ne semblaient pas avoir plus "changé" que des baleines ».