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Une série de tombeaux, dont celui de Tommy

Publié le 14 novembre 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Je suis conscient que dans mon dernier post j’ai pataugé dans les dates en les superposant. Le 11 septembre habite maintenant tellement nos mémoires, qu’il a fait disparaître dans ma conscience le 11 novembre qui nous a été proposé cette année comme une nouvelle phase de la réconciliation francoallemande.  Je devrais pourtant m’accrocher plus vigoureusement à cette date en raison du fait que les Français ; les Belges aussi en ont occulté l’aspect calendaire de la Saint Martin qui nous amène, au sein des itinéraires culturels à réaliser d’autres partages festifs dans toute l’Europe.

Mais je ne vois pas vraiment d’issue proche au travail de mémoire que nous devons faire régulièrement pour fonder une Europe de la réconciliation. Symboliser la Paix retrouvée est sans doute nécessaire, mais si j’en crois les commentateurs, je n’ai pas été le seul à trouver un peu ridicule ces légers dominos poussés par un dissident célèbre, quand on sait les épisodes sanglants qui ont scellé ces lieux. Autrement dit, le spectaculaire est certainement nécessaire, mais la légèreté et la mode ne sont pas forcément les meilleurs arguments de l’adhésion.

On avait raillé la scénographie de Jean-Paul Goude, lors du Bicentenaire de la Révolution française. Les sans culottes ne faisaient pas forcément bon ménage avec les tambours du Bronx ! Ceci dit, il s’agit là d’un intervalle de 200 années et la Fête de la Fédération de 1790 devait, elle aussi, comporter bien des artifices pour la célébration de l’Être suprême à qui on confiait le soin d’éclipser le Dieu des curés.

Vingt ans après, ce n’est pas tout à fait la même chose. L’Europe s’est posée. Parfois de travers, mais elle s’est posée. Mais ce n’est pas une raison pour si vite enterrer les morts dans l’oubli. Et je dis bien tous les morts depuis que Berlin est un enjeu de pouvoir ! 

Je me souviens des vingt ans de la Libération de Paris. C’était l’année du bac ! Et dans la chaleur du mois d’août je bénéficiai aussi bien du défilé des militaires qui avaient fait céder l’ennemi, des discours de leurs chefs, que des récits de mes grands-parents qui n’ont pu s’empêcher d’aller en vélo faire un grand tour de la capitale, en essuyant, ici et là, quelques balles qui auraient pu les tuer. Comment aurai-je pu oublier, malgré mes dix-huit ans, le prix que mes proches avaient payé ?

J’ai déjà posé dans les pages précédentes des notes de lecture à propos de livres qui tournaient autour de Berlin, de l’Allemagne ravagée, des vrais et des faux souvenirs des témoins de la Seconde Guerre mondiale. Il m’en reste au moins un. Le plus complexe puisqu’il joue à fusionner la vie d’un résistant avec celle d’un lycéen d’aujourd’hui.

Entre les pages, pourtant « La barque silencieuse » de Pascal Quignard glisse lentement en portant ses âmes, depuis l’origine du monde. « Il semble au corps qui s’endort, avant qu’il ne plonge dans le sommeil, qu’il décroche. Le corps humain dans le noir est comme une barque qui se désamarre, quitte la terre, dérive. »…et encore « Voilà exactement ce qu’est le passé : tout ce qui passe par la porte qui descend dans l’ombre. Horus seul tourne la clé de la naissance ou du réveil. Ce n’est pas la mémoire : c’est le songe qui est le miroir biologique où les morts se reflètent. Les Grecs appelaient « démon » ce surveillant au fond de nous du reliquaire. »

Il faut tenir encore un peu le flambeau avant que l’ombre ne gagne.

On connaît l’Affiche Rouge placardée par les armées d’occupation, en février 1944, quelques mois avant que Paris ne soit libéré. Une affiche sur laquelle des visages effrayants de fatigue, devaient porter l’effroi. Une affiche où le photographe avaient utilisé des condamnés à mort pour mimer, dans la cour d’une prison, les gestes du sabotage. On ne sort jamais de la mise en scène.

Plus de vingt francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée (MOI), dont la plupart étaient de très jeunes gens, ont été exécutés. Ils portaient des noms d’origine italienne, allemande, polonaise, arménienne…Ils étaient Juifs pour la plupart. Ils étaient Français ! Leur identité était la lutte contre un occupant. Une identité française, monsieur Besson ? On précise même en général qu’ils étaient communistes. Seraient-ils devenus des responsables politiques. Qu’auraient-ils pensé de la partition de l’Europe, s’ils avaient vécu ?

Un film signé Robert Guéduiguian « L’Armée Rouge » vient de sortir. Et ce livre d’Alain Blottière « Le tombeau de Tommy » a été publié dans le même temps. Il se consacre à l’un des partisans, le plus beau peut-être : Thomas Elek, vingt ans. Juif hongrois ; celui-là, dont la mère parlait hongrois, allemand et français et aimait Paris. Il aimait Paris aussi. Ce quartier où je me suis promené tous les jours pendant plusieurs dizaines d’années, du côté de la rue Monge ou Cardinal Lemoine.

Français, entraîné dans le sort étrange d’un pays où l’identité s’était cristallisée en autant de parti pris arc-boutés contre une identité ennemie vécue sans nuances et contre une image dorée de patrie rurale attachée au travail et à la terre.

Alain Blottière est souvent connu pour sa connivence avec l’Egypte. Il met ici l’auteur du récit dans la peau d’un cinéaste qui cherche un acteur non professionnel pour jouer le rôle de Thomas. Un acteur qui, comme les personnages de Marie Ndiaye, est très vite habité par un autre et quitte son insouciance du XXIe siècle, pour le drame du XXe. 

Cet artifice, parfois un peu trop artificiel justement, vaut pourtant roman. Il donne corps à une fiction permettant de confronter des espaces qui s’ignorent à presque soixante-dix années de distance. Dans les mêmes rues, les mêmes immeubles, les mêmes cours et… les Arènes de Lutèce qu’enserrent les constructions.

« Les archives de Louis-le-Grand conservent aussi les bulletins scolaires calamiteux de cette dernière année scolaire interrompue. Tommy, en réalité, ne travaillait plus. Peu de travail en histoire, travail insuffisant en français, réussirait bien s’il travaillait en anglais, travaille trop peu et de fréquentes absences en maths…pas une matière n’échappe à cette désertion. A la fin du second trimestre, en raison d’une paresse inadmissible, le conseil de classe lui infligera un blâme précédant l’exclusion. Il s’exclut lui-même. Cet univers où l’on s’obstinait à transmettre un élégant savoir, mais où les élèves juifs – après les professeurs déjà exclus – devenaient indésirables, lui semblait décidément invivable, aussi cruel qu’illusoire, déplacé, à la fois trop près et trop loin de la violente vérité du monde.” 

Il semble que dans la paix toujours fragile de pays qui vivent ensemble une crise que leurs dirigeants font semblant de maîtriser, en parlant de tout autre chose et en se protégeant de la pluie, d’autres jeunes se demandent aujourd’hui s’ils doivent miner, ou déminer….Les changements profonds sontaujourd’hui couverts par les voiles du superficiel et les violences sont bien plus ponctuelles. Mais tous ces points se rapprochent pourtant, j’en ai peur.

Comment ne serais-je pas frappé que ce soit Stéphane Hessel, rescapé de la Déportation, né en 1917, qui parle aujourd’hui de résistance avec tant de clarté. De sa résistance passée et du besoin de résistance aujourd’hui. Il emploie les mots de démocratie, d’éducation dans le dépouillement des artifices.

Un souffle pour repousser la barque qui s’en vient…

Photo : L’Armée du Crime


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