Voici quelques remarques et citations issues de l’excellent ouvrage Facebook Et moi ! Et moi ! Et moi ! à travers lequel la sociologue Nina Testut analyse les usages de la plateforme en nous plongeant dans la peau d’une multiplicité d’utilisateurs.
La démarche se veut micro-sociologique (avec une incontournable référence à Goffman puisqu’il s’agit entre autres d’étudier des stratégies de mise en scène de soi) et laisse une large place à la dimension subjective. Une mine d’insights !
Facebook comme « Terrain de Je » et scène du soi
Etre présent sur Facebook invite, voire oblige, les individus à un exercice réflexif : ces derniers doivent choisir, parmi une multiplicité de possibles, la façon avec laquelle ils vont se représenter, la stratégie de mise en scène qu’ils vont adopter.
Ce travail génère une courbe d’expérience. A mesure qu’ils confrontent, par une série d’essais-erreurs, l’image qu’ils souhaitent donner (leur Idéal du Moi en quelque sorte) et l’image qu’ils reflètent effectivement pour autrui, ces derniers acquièrent progressivement une compétence narrative propre à la plateforme.
« Facebook nous parle de notre identité, de nos identités, schizophrènes ou réconciliées. Facebook nous parle aussi du soi dévoilé de façon plus ou moins maîtrisée, de la gestion stratège de nos réserves d’informations. On se donne à voir tel que l’on est, tout cru, sans prétendre. On s’efforce à l’authenticité, à l’intégrité, à la transparence. Ou on se donne à voir glamourisé. Quel impératif de vérité après tout ? On défie les lois de l’autobiographie : je me donne à voir sur Facebook, je reçois le reflet de moi et sa validation par autrui. De la même façon on observe la vie des autres, et on se positionne par rapport à ces existences. Facebook est un support d’expression et de construction identitaire. Il est ma surface d’expérimentation du Je. »
Facebook comme dispositif d’objectivation des relations sociales
Selon l’auteur, le terme « friends » constitue un « holdup sémantique » en regroupant une multiplicité de relations hétérogènes. Si elles ne relèvent pas toute de la véritable amitié, ces dernières sont cependant loin d’être dénuées de valeur :
« J’admets en revanche que se mêlent ainsi dans mon profil des proches et des connaissances, des liens forts et des liens faibles, sachant que si ces derniers ne méritent pas ne méritent pas toujours l’appellation d’ami au sens que nous lui donnons personnellement, ces liens ont aussi d’autres fonctions. Les liens faibles sont notamment plus productifs, au sens de pourvoyeurs d’informations nouvelles, ils sont plus étendus, donc l’occasion d’une plus grande diversité. Les liens forts sont plus pauvres en potentiel social du fait de leur redondance, ces liens me ressemblent, je les connais bien, j’en sais les ressources. Mes liens faibles seront donc finalement plus rafraîchissants, voire source d’opportunités. Cela nous renvoyant à la finalité déclarée du réseau social : au-delà du heurt sémantique à propos de l’ami, il s’agit ici de fabriquer et d’accroître son capital social. Facebook c’est ça, l’objectivation de mon capital social, pris comme l’ensemble des ressources que je peux obtenir grâce à mes relations sociales. J’entretiens mon capital social, en tissant et en entretenant mes contacts, j’investis comme je le fais par ailleurs dans la vraie vie, peut-être ici à moindre coût, à coups de clic ? »
S’il contribue à objectiver mon identité personnelle, Facebook contribue également à objectiver mes relations sociales. Il rend publiques mes fréquentations, il rend explicite et visible une partie de la nature et de la qualité des relations que j’entretien avec mon réseau.
Facebook comme paradigmatique du changement de statut de l’intimité dans notre société
Loin d’engendrer une révolution au niveau des usages, Facebook illustre en la prolongeant une tendance de fond que les spécialistes des médias et de la téléréalité observent depuis plusieurs décennies.
Fille de l’individualisme, cette dernière opère un profond bouleversement sociologique en redéfinissant les frontières du public et du privé.
Facebook invite ses utilisateurs à préempter l’espace public comme une extension de l’égo.
En cela, le site témoigne d’un changement dans notre rapport à notre intimité que Serge Tisseron a analysé en forgeant le concept d’extimité.