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Sarkozy et Obama en Afrique

Publié le 14 juillet 2009 par Jlhuss

Luigi réagissit à la note “Selon la couleur de la peau “et aux discours comparés d’Obama à Accra au Ghana et Sarkozy à Dakar Sénégal sur l’Afrique. Ainsi le dialogue peut se poursuivre.

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Il est effectivement très intéressant de juger par soi-même des ressemblances entre ces discours, et si l’on y passe un peu de temps on se rend compte qu’ils sont tout à la fois très proches et extrêmement différents l’un de l’autre aussi bien dans le texte que dans le contexte. On ne pourra donc pas réduire la différence de texte et la différence de réception du texte à une simple différence de couleur.

Tout d’abord il serait bon d’introduire un lien vers le discours du président Obama pour permettre une comparaison : Le voici en anglais , malheureusement. C’est un lien vers le discours tenu au Parlement, mais notons qu’il y a un second discours, face à la foule.

Les contenus des discours sont totalement autres, on note d’emblée la couleur historico-philosophique du discours de Nicolas Sarkozy et le ton beaucoup plus “affairé” et réaliste du discours d’Obama illustré par des exemples personnels, par des chiffres. C’est là que se produit une première différence cruciale.

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Le discours de M. Sarkozy parait comme extérieur, c’est celui d’un anthropologue qui regarde de loin qui analyse, avec une profondeur affectée et avec la volonté d’y mettre de l’amour et de l’amitié, certes.
En dépit de cela, le discours se fait obstruction à lui-même car sa teneur intellectualiste est déjà un obstacle en soi à l’identification, l’auditeur reste à distance et est renvoyé à sa différence.
On notera notamment chez le président Sarkozy cette référence constante et un peu maladroite à ce lointain “homme noir”, curieux objet d’étude, qui appairait sept fois ; chez le président Obama l’absence complète d’un tel vocable est édifiante et fait écho au monde post-racial que la presse a mis en avant pour le décrire.

M.Obama évite ainsi d’emblée, contrairement au président Sarkozy, le reproche des contre-vérités historiques ou d’une vision essentialiste de la réalité, autant d’écueils qui peuvent humilier ou blesser, qui peuvent inutilement réveiller des sensibilités.

Chez M. Obama l’identification fonctionne, et rend le discours beaucoup plus acceptable : il n’oppose pas une vision lointaine pour donner une leçon d’histoire et ne crée pas de distance; bien au contraire il se rapproche à pas socratiques de son auditeur par des exemples très concrets et qui tissent entre le président américain et son auditeur un lien fraternel. La rhétorique est tout autre et l’on ne peut s’étonner sans naïveté que le message soit perçu tout à fait autrement.

Certes la couleur de la peau de M.Obama peut faciliter la chose mais il est évident que M. Obama ne l’utilise pas ouvertement dans le texte. En outre, utiliser la sympathie qu’il inspire a priori au monde entier, et pas uniquement aux Africains, est un signe d’intelligence politique lorsqu’il s’agit de faire passer un message difficile à entendre sur l’auto-responsabilisation et la bonne gouvernance. A contrario, alors qu’il appelle tout autant à la responsabilité, M.Sarkozy se met lui-même des bâtons dans les roues en évoquant la couleur mythique de l’homme noir et en utilisant un ton très légèrement “pompeux” .

J’irai plus loin en disant qu’à discours identique la réception des discours serait - et même devrait- être légitimement différente. Ceci est lié à un contexte que j’ai déjà partiellement évoqué.

Si nous revenons un instant sur le discours de Dakar, nous pouvons imaginer qu’il n’est pas le premier acte politique de M. Sarkozy, qu’il s’inscrit dans un parcours avec d’autres textes et paroles. Il y a eu avant Dakar des mots sur l’immigration choisie, sur la France que l’on aime ou que l’on quitte, sur la création d’un ministère controversé, quelques mots légèrement méprisants et peut-être faux sur la France qui n’aurait pas besoin économiquement de l’Afrique - ceci a peut-être fait rire très fort quelques personnes au sommet des tours Elf ou Areva, ailleurs cela a pu faire gronder.
Autant de choses survenues avant le discours qui font, peut-être, que la réception du discours est légitimement biaisée, que les auditeurs sont déjà tout à fait crispés avant même que le discours ait la chance d’exister.

Pourtant, une bonne rhétorique pourrait dans un cas aider M.Sarkozy à limiter ce genre de distorsions négatives ou au contraire dans le cas de M. Obama aider à exploiter certaines distorsions positives pour faire passer le discours.
M. Obama utilise judicieusement les a priori positifs dont il dispose et la sympathie qu’il inspire, sans pourtant en rajouter : il ne revendique pas la proximité mais la suggère par le texte et l’attitude. Sur ce point on doit, et c’est étonnant, constater l’échec communicatif de M.Sarkozy.

Lorsque M.Sarkozy parle il y a on peut le croire, une défiance a priori, alors qu’avec M.Obama il y aura une reliance a priori liée à tout son discours d’espoir et aux espoirs symboliques qu’il porte avec lui, lié aussi à son style de politique, aux récents efforts qu’il a consentis pour le G8, à une politique d’ouverture aux pays émergents. En s’en tenant au texte ou à la couleur de peau on passe (ou pas) à côté de certaines choses qui ont leur importance.

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Pour être tout à fait honnête, notons aussi que ce qui vient après le discours a également un effet sur la lecture que l’on en a : les plates excuses de Ségolène Royal par exemple font que le texte a d’emblée une valeur bien plus polémique qu’au moment où il a été écrit ou prononcé.

Pour finir, on notera que les deux présidents se permettent tous les deux certains raccourcis assez terribles, assez “gonflés” même, mais ils n’ont probablement pas le choix.

Ils sous-estiment le “mal” qui a été introduit sur des décennies dans certains pays africains si bien que certaines générations n’ont connu que cela : des administrations ou entreprises américaines ou françaises ont pu soutenir des régimes dictatoriaux, soutenir des coups d’état prenant ainsi des peuples dont la volonté de changement était patente en otage.
Les armes occidentales ont créé un désenchantement et un découragement profonds. On ne se révolte pas contre des militaires armés jusqu’aux dents comme l’on se révoltait au XVIIIè siècle. On n´a pas écrasé, les révolutions européennes comme on a écrasé les révoltes africaines. Le poids des armes. Les jeunes ou moins jeunes qui se sont levés contre des régimes dictatoriaux ou contre la corruption, et l’espoir qu’ils portaient avec eux sont souvent passés par ces armes, made in Europe, made in Russia, made in America, etc…

A son insu ou non, M.Sarkozy est vu comme un héritier de ce système et il devra écrire et agir différemment pour quitter ce vêtement. A son insu M.Obama est vu comme un homme neuf et il devra continuer d’être habile pour conserver ce statut.

Enfin, l’histoire récente de l’Afrique n’est pas du tout la même selon les pays et en particulier n’est pas la même dans les pays francophones et anglophones. Ainsi le Ghana est un pays anglophone qui s’en sort très bien aujourd’hui économiquement et démocratiquement, alors qu’à quelques kilomètres les pays francophones des environs souffrent ou ont souffert de régimes dictatoriaux et ont pris beaucoup de retard. Une des forces du discours d’Obama est sa charge symbolique, il n’ y a pas qu’un retour sur l’histoire de l’esclavage il y a aussi le choix d’un pays africain connu pour sa bonne gouvernance et ses progrès démocratiques et économiques.

Luigi

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Des réactions suivirent, en particulier celle d’Annie.

Annie :

Sur 2 ans j’ai fait une série d’article sur l’esclavage et son histoire, me plongeant (enfin) dans les faits historiques je n’ai pu que constater :

Ce sont les Africains qui nous ont fourni ceux que nous avons déportés. Pour moi cette coutume qui remonte à l’Antiquité d’asservir son prochain en Afrique se perpétue par la corruption, les chefs-dictateurs qui s’en mettent plein les poches : c’est un état d’esprit africain.

Sont-ils à même de se regarder eux-mêmes pour ce qu’ils font et qu’ils perpétuent ?

Tant qu’ils en seront à accuser l’autre de tous leurs maux ils n’avanceront pas.

Luigi :

Il y a, il me semble, de la vérité dans votre commentaire, malheureusement il ne s’agit que d’une vérité partielle. Si vous la généralisez ainsi elle apparait comme une contre-vérité qui peut être très dangereuse et très mal interprétée. Si vous connaissez l’histoire de l’esclavage vous savez qu’elle se compose de collaborations et de résistances.

1) L’esclavage n’est pas un état d’esprit africain, on trouve des tentatives de justification de l’esclavage notamment chez Platon, Aristote, Thomas d’Aquin qui ont eu une influence considérable sur la pensée occidentale et notamment sur la relation de l’occident à l’esclavage lors de la découverte du nouveau monde et sur le mode de pensée esclavagiste (cf controverse de Valladolid).

Ainsi, l’esclavagisme est à deux faces et quand bien même il n’y aurait eu que de l’esclavage volontaire - mais dire cela est faux et est un contresens historique grave - il faut aussi des hommes, des maîtres pour accepter de mettre en esclavage et pour justifier cettes situation. Par ailleurs l’esclavage est loin d’être un phénomène limité à l’Afrique. Il y a eu des esclavages intra-européens, les Grecs asservissaient presque systématiquement les peuples colonisés et pourtant on ne peut coller à ces peuples une nature d’esclave. L’esclavagisme est un processus violent qui se produit à l’initiative d’un envahisseur extérieur, il n’est pas l’expression de la nature spontanée d’un ou plusieurs peuples.

2) Les colons sont donc venus chercher des esclaves, les Africains sont loins d’être allé donner leurs hommes volontairement il y a eu des résistances plus ou moins violentes; à certains endroits on s’est battu jusqu’à la mort, à d’autres on a reconnu plus rapidement la supériorité technique des européens. C’est une question qui se pose systématiquement en cas d’invasion : Résister et mourir ? Collaborer pour éviter la mort de tous ? Comment collaborer ? Comment rester digne ?

Certains ont collaboré aisément et se sont même enrichis. D’autres chefs africains ont donné des hommes pour éviter un massacre, vous admettrez que le problème éthique est un peu plus subtil et que pour avancer il faut préférer la nuance à la phrase choc.

Il y a eu des “pourris” et il y en aura encore en Afrique comme en Europe. Certains africains ont collaboré avec les esclavagistes c’est certain, tout comme il y a certains français qui ont collaboré avec le régime nazi. Doit-on pour autant dire qu’il y a un état d’esprit français de la collaboration voire que cela est génétique ? Ce serait parfaitement incongru et faux me semble-t-il.

3) Vous justifier a posteriori la nature de certains hommes par un fait historiquement daté ce qui est faire à peu près la même erreur que les colons dont la pensée schématique a été (au mieux) quelque chose comme : puisque les africains ont servi d’esclave aux Arabes c’est qu’ils n’ont pas d’âme et ont une nature d’esclave, nous pouvons donc les mettre en esclavage.

Plus il y a d’esclavage plus on a la tentation de coller cette nature d’esclave aux individus alors que l’on voit bien que c’est une image, un stéréotype qui se construit et se nourrit de lui-même : avant l’esclavage y avait-il une nature d’esclave ou justifions nous en fait a posteriori l’esclavage en construisant cette nature nous même ?

Ce serait comme de dire que les Français ont une nature de collaborateur parce qu’il y a eu de la collaboration, un contre-sens grave et insultant. Toutefois votre commentaire est intéressant et il serait profitable à tous de lire votre série d’articles pour se faire une idée, si celle-ci est accessible.

Annie :

Je vois que vous en êtes encore au “pensons bien” et comme je ne vais pas refaire ici des tas d’articles, soit venez contester les faits, soit mélangé toutes les sortes d’esclavages… allez un peu travailler la question en ayant l’esprit ouvert et pas des idées d’avance.

Luigi :

J’ajoute, pour finir, que dire : “la corruption, les chefs-dictateurs qui s’en mettent plein les poches : c’est un état d’esprit africain ” est d’une violence mauvaise envers les résistants, les exilés de force, les opposants aux régimes dictatoriaux morts ou vivants, envers les bâtisseurs de démocratie; ils sont nombreux, ils sont eux aussi des Africains. Réduire le problème à “un état d’esprit africain” comme vous le proposer c’est occulter leurs combats, le sens qu’ils ont donné à leur vie ou à leur mort.

J’attends vos articles et vos idées qui, je l’espère vraiment, m’ouvriront l’esprit, me feront réfléchir et changer d’avis.

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Le dialogue est ainsi à poursuivre …


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