Trop souvent, le recours à la médecine, aux hôpitaux et en particulier aux services d’urgences, repose sur des motifs assez éloignés du souci légitime de se soigner.
Il faut la signature pour la licence sportive ; il faut justifier un œil au beurre noir, un petit hématome : « S’il pouvait y avoir fracture ! Mon avocat serait heureux!»
L’arrêt de travail est la bonne aubaine pour effectuer le déménagement de la belle sœur. Le chef de bureau est insupportable… quelques jours de repos calmeraient les maux de tête. Nous partons en “ouikende”, le gosse a la rhino, la gastro… le voyage le fatiguerait… il a besoin d’un petit bilan : la gastro ! De même pour Mamie ! Hein Mamie ! Toute seule à la maison, ce n’est pas raisonnable… On veut là retrouver en pleine forme au retour notre Mamie ! … Hein Mamie ! Dans quinze jours ça ira ; ils sont gentils ici les docteurs Mamie…
La médecine n’est pas faite pour soigner le « mal de vivre », le « mal de travailler » ; n’est pas faite pour aménager les loisirs. La crise sociale ne devrait pas être médicalisée ; la réponse est sociale, pas médicale, pas avec des pilules, des examens inutiles ou des hospitalisations abusives.
Le médecin doit rester libre par rapport à toutes les contingences : «Pour se libérer des opinions fausses sur les dieux et sur l’âme, sur le plaisir et la douleur (…), il faut se croire libre; il faut nécessairement être persuadé que certaines choses sont en notre pouvoir.» Épicure
Le médecin a besoin de vigilance face aux demandes “erronées” ; mais en revanche il ne pactisera jamais au détriment des “vrais” malades. Rebelle, il sera, pour conserver sa force d’opposition : jamais une hésitation pour dénoncer une carence, une économie malencontreuse, un mauvais choix stratégique pour le bien-être de son patient.
Avec discernement, mais sans faiblesse, il interpelle, sans soumission dans l’attente d’une décoration, d’une chaire d’enseignement, d’un siège dans un institut ou une Académie. Libre et poil à gratter, le reste lui sera donné par surcroît ou refusé, peu importe. Aujourd’hui, critiqué, demain reconnu, dans tous les cas en accord avec le serment qu’il a prononcé et son honneur de médecin :
« Au moment d’être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité.
Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité.
J’informerai les patients des décisions envisagées, de leur raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.
Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me le demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.
Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.
J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.
Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque. »
Dans la triste affaire du sang contaminé, beaucoup de médecins n’ont pas appliqué ces données éthiques et morales simples. Les politiques ont eu bon dos ! Un Ministre, un Premier Ministre, ne peuvent pas apprécier rapidement de telles affaires ; ils le font à l’écoute de données fournies par les spécialistes.
En revanche, tout le monde connaît l’impact d’une déclaration même très courte au 20 H. Les politiques aussi !
Les grands médecins qui savaient, qui écrivaient des lettres confidentielles, qui donnaient des avis « circonstanciés » dans les antichambres, se devaient de faire une telle déclaration, invoquant la “précaution”. Ils savent se saisir de telles opportunités dans d’autres occasions; lorsqu’ils veulent obtenir des subsides pour leurs labos, des moyens supplémentaires pour la recherche … Dans cette dramatique affaire, même ceux qui ont parlé, ne l’ont pas fait bien fort ! Pourtant ils savaient, ou doutaient : principe de précaution oblige, ils devaient se faire entendre. Ils ont été couards pour défendre les patients et essayer d’éviter la surmortalité. La responsabilité écrasante de cette affaire repose sur les épaules des médecins et d’eux seuls.
Cette affaire est maintenant ancienne et pourrait paraître inoppotune à rappeler, mais au cours des évolutions mouvementées de l’exercice délicat de la médecine que nous allons connaître, en face des difficultés multiples qu’il va rencontrer, le médecin doit en conserver la mémoire -les plus jeunes ont sans doute même oublié- ils ne devraient avoir qu’un seul bréviaire : se rappeler leur serment : “Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque.”
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