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Balade islandaise

Par Chatperlipopette

Islande, dans une petite ville provinciale du Nord tout juste sortie du marasme économique grâce à de providentiels industriels. Une ville où sévit un trio de jeunes gens aux allures ridicules de cavalieros, semeur de pagaille les samedis soirs. Une ville où le train-train quotidien est perturbé par l'arrivée massive de main d'oeuvre étrangère vue d'un mauvais oeil par les gens du crû. Cette petite ville est choisie par la rédaction d'un journal de Reykjavik, "Le journal du soir", pour commencer la conquête d'un nouveau lectorat sous la houlette de l'ancien rédacteur en chef Asbjörn escorté du journaliste, en "pause" alcool, Einar et d'une photographe Joa. Perspective peu réjouissante pour celui qui a l'habitude de l'ambiance de Reykjavik!
Notre trio emménage dans une maison, à l'étage Asbjörn, son épouse Karolina et leur chien Snulli, au-dessous Einar et Joa. Comment faire pour éviter d'être cantonné à la rubrique des chiens écrasés? Quel sujet palpitant à trouver pour ne pas s'engluer dans la monotonie?
Très vite le morne défilement des jours va être perturbé par divers incidents: une femme décède suite à une chute lors d'une sortie en rafting, Snulli, le chien-enfant, disparaît au grand désespoir de Karolina et Abjörn et le corps d'un jeune lycéen, premier rôle d'une pièce de théâtre prévue pour la Semaine Sainte est retrouvé dans une décharge! De quoi intéresser notre journaliste en mal d'émotion, lequel se met en piste du moindre détail au risque de déplaire à bien des personnes. Entre interviews, écoutes des conversations de bar ou de débats politiques et conversations avec une vieille dame en maison de retraite, Einar se trouvera confronté à la découverte de la paternité d'Abjörn, à un trafic de médicaments lucratif et à une maladie encore confidentielle, l'hypocondrie bienvenue pour se débarasser d'une épouse encombrante.
Arni Thorarinsson, à travers son héros Einar, dresse un portrait doux amer de la société provinciale islandaise: derrière les beaux paysages, idylliques, le mal-être d'une époque sourd des moindres faits divers. La désertification des campagnes, l'intense industrialisation de l'arrière-pays pour une durée éphémère et dévastatrice, les politiques accrochées à l'économie plus qu'à l'aspect humain et écologique, les bandes motorisées qui ne savent pas quoi faire de leur peau et qui se divertissent dans la peur qu'elles inspirent, le sentiment national monté en épingle ou exacerbé par la fascination des anciennes traditions, à l'image de Loftur le sorcier, la consommation effrénée d'alcool ou de médicaments, détruisant peu à peu les personnalités des âmes en détresse....des images dont le sordide est occulté par leur banalité. Le personnage du jeune Skarphedinn, élève brillant et d'une rare maturité, est autant fascinant qu'angoissant: la sensibilité extrême de ce jeune homme l'amène à une perception décalée du monde, à brandir une antienne inquiétante, extraite de la pièce Loftur le sorcier "Mes désirs sont puissants et dénués de limites. Au commencement était le désir. Les désirs constituent l'âme des hommes.", et à être atteint du Narcissistic personality disorder, c'est à dire à n'avoir qu'une conscience altérée et à une absence de sens moral, confortant ainsi ses illusions sur sa réussite, ses capacités et son génie....les autres ne sont que de pâles imitations d'êtres humains.
"Le temps de la sorcière" est un roman noir où l'ironie permet d'alléger les sombres sujets abordés: entre le Snulli kidnappé puis retrouvé, les échanges vifs entre Einar et Trausti Löve le nouveau rédacteur en chef, issu du monde de la télévision, et la relation particulière construite entre Einar le journaliste solitaire et Snaelda la perruche, le sourire est au détour de nombreux passages, écartant la lourdeur de l'ambiance. Pourtant, je n'ai guère été emballée par cette enquête ni par le héros. Pourquoi? Je ne saurais pas vraiment bien l'expliquer...peut-être ai-je été rebutée par un parti pris de la traduction dans la construction des dialogues (les inversions du sujet ne sont jamais faites, heurtant ma lecture et devenant agaçantes au fil du récit)? Un détail, certes, mais qui a son importance pour la fluidité de la lecture, du moins en ce qui me concerne. La chute du roman est étonnante, dans le sens où rien n'a transpiré de la construction de l'intrigue, ce qui pourrait être une réussite et qui tombe à plat parce qu'elle semble venir comme un cheveu sur la soupe. Dommage car l'ambiance pittoresque et sombre est vraiment bien décrite et les personnages sont attachants...d'ailleurs lorsque l'on termine l'histoire, on a l'impression qu'Einar, Joa et Abjörn sont des amis que l'on quitte car devenus très familiers.


Roman traduit de l'islandais par Eric Boury


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