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Qui a besoin d'un parachute en or?

Par Jean-Louis Richard

8,5 millions d'euros chez EADS Parachute pour Noël Forgeard... il n'en faut pas plus -mais pas moins- pour qu'à nouveau le monde parisien des affaires interroge ses pratiques. La première réaction consiste à s'offusquer en appelant au remboursement. C'est oublier que le parachute en or résulte d'un contrat accepté par les deux parties. Mais pourquoi une entreprise et son dirigeant ont-ils besoin de pareilles clauses ?

Le parachute en or ne peut se comprendre que par comparaison avec la situation qui prévaut en son absence : le dirigeant est révocable ad nutum, en français d'un hochement de tête de son conseil. Il part dans l'instant, et, comme tout salarié, perçoit des indemnités en cas de licenciement non fondé.

Qu'est-ce qui, dans cette situation, pose une difficulté que le parachute en or pourrait régler ?

Plaçons-nous d'abord du point de vue du dirigeant, en tant que personne. Devrait-il être protégé de la perte de revenu que ce départ soudain peut entraîner ? Pourtant, à ces niveaux de revenus, personne ne peut croire qu'une famille soit incapable de gérer une période de recherche d'emploi. Ce serait aussi très inquiétant quant à la capacité de cette même personne à gérer les biens communs qui lui sont confiés dans le cadre de l'entreprise. Que serait un dirigeant qui ne saurait gérer le risque ?

Vous allez me dire, oui bien sûr, mais prenons le cas où le dirigeant n'est plus capable de retrouver un haut niveau de salaire, soit parce qu'il est dépassé, soit parce qu'il n'en a plus l'énergie. Le parachute est-il justifié dans ce cas ? J'aimerais être une petite souris dans la pièce, le jour où un dirigeant, sur le point d'être désigné, va ainsi justifier cette clause protectrice de son contrat...

La seule sécurité matérielle d'un dirigeant, c'est sa capacité à faire gagner beaucoup d'argent à son entreprise, et à en prélever sa part pour ses propres besoins et ceux de sa famille. Si le dirigeant n'a pas confiance en cette capacité, soit il travaille là-dessus pour évoluer -c'est faisable-, soit il change de métier.

D'ailleurs, qui croit encore qu'un parachute en or profite à celui qui le reçoit ? L'argent "gagné" au travers d'une telle clause est difficilement approprié par son titulaire, au contraire du fruit de son travail. Un parachute en or, loin de protéger, fragilise celui qui le reçoit en décourageant ses efforts pour rebondir, apprendre de ses erreurs, mûrir et grandir. Qui va mieux s'en tirer, entre un dirigeant de 40 ans qui a reçu 10 ans de salaire pour prix de son incompétence, et son homologue parti de son plein gré en assumant ses responsabilités ? Peu importe son compte en banque, le plus fort est le second.

Non, le parachute en or ne sert pas son bénéficiaire, bien au contraire, c'est un parachute de plomb qui symbolise son manque de confiance en soi. Il freine ses nécessaires remises en cause et amplifie les aléas de sa vie professionnelle.

Vue l'extrème fragilité de ce mystérieux sentiment qu'est la confiance en soi, je ne suis pas étonné de la demande croissante de tels contrats. Mais le remède aggrave le mal.

Examinons maintenant le point de vue de l'entreprise. Il est bien connu qu'un conseil d'administration ou de surveillance a du mal à reconnaître que le dirigeant qu'il a choisi n'est pas à la hauteur. D'ailleurs, ce dirigeant est peut-être correct, mais moins bon que l'excellent qui aurait pu se trouver à sa place... L'avantage du parachute en or, c'est qu'il limite la perte que le conseil peut faire subir à l'entreprise à raison de sa propre indécision. Imaginons que le débat divise les administrateurs: les uns disent qu'il faut encore laisser sa chance au dirigeant, les autres disent qu'il a assez coûté au groupe, soit directement, soit en perte d'opportunité. Le déclenchement du parachute met tout le monde d'accord, dans un consensus mou. C'est une assurance négociée dès la conclusion du contrat, oui, mais une assurance contre quoi au juste ? Contre l'incapacité du conseil à décider à temps et en bon ordre, puis à négocier au mieux, le départ du dirigeant. Poussons la logique plus loin : un conseil devrait-il s'assurer contre l'échec de la stratégie qu'il a choisie ? Contre la sous-performance du groupe qu'il dirige ? Ca vous fait rire ? Signer une clause parachute est pourtant du même ordre. La vérité est difficile à regarder en face : le parachute en or, pour les instances dirigeantes de l'entreprise, ce n'est pas de la prévoyance, c'est la peur de ne pas pouvoir maîtriser les conséquences de ses propres choix.

La situation est donc symétrique : au manque de confiance en soi du dirigeant, tenté par une apparente protection, fait écho le manque de confiance du conseil en ses capacités à mener l'entreprise en prenant à temps des décisions courageuses et en veillant à leur exécution.

Le problème, c'est que, tout comme pour la personne physique, la protection que s'offre ainsi le conseil est pire que le mal.

Vaut-il mieux se mettre d'accord sur un compromis boîteux, c'est à dire le départ aux très chères conditions contractuelles, ou travailler à une vraie décision qui engage l'ensemble du conseil ? Et que penser d'un conseil qui ne sait pas décider de l'avenir de son dirigeant ? Comment fera-t-il face aux vrais coups durs en restant soudé face à l'adversité?

Si les conseils prenaient toute la conscience du dangereux confort que leur procurent les parachutes en or, ils les banniraient. Lors des débats sur l'avenir du dirigeant, ils travailleraient plutôt à prendre et assumer collectivement les décisions nécessaires, toutes inconfortables qu'elles soient. Et ils réagiraient avant que la note pour l'entreprise atteigne le montant du parachute.

Le symétrique du parachute en or, le welcome package, bonus versé à l'arrivée, ne suscite pas tant de réserves. Il rémunère, dans le cadre de conditions de marchés, la prise de risque du dirigeant qui abandonne des fonctions attrayantes. Et il s'apparente, du côté de l'entreprise, à un investissement qu'elle juge rentable à terme. Ce bonus caractérise, au contraire du parachute, l'assurance du dirigeant qui l'exige, et la confiance du conseil qui l'accorde en la sûreté de son choix.

Voilà pourquoi les parachutes en or nous effraient : ils nous rappellent à quel point les deux parties contractantes, le dirigeant et son conseil d'administration, manquent de confiance en eux-mêmes, au point de se ménager pour l'avenir ces coûteux conforts.

La difficulté n'est pas que quelques parachutes en or s'ouvrent, mettant notre éthique à l'épreuve. C'est que l'existence même de ces parachutes témoigne de la fragilité de nos organes de direction.

Il est plus facile d'appeler au remboursement que de faire grandir dirigeants et administrateurs. La réussite des entreprises tient aux qualités de leurs dirigeants et administrateurs, et l'attirance pour ces parachutes plombés nous rappelle que nous avons tous encore beaucoup à faire.


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