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Le futur éditeur qui ne savait pas lire

Par Didier T.

Copyright : Editions Grasset et Fasquerelle
Dans le livre de Cynthia Ozick, Un monde vacillant, que je termine doucement, un homme riche achète l’apprentissage de la lecture d’un enfant.
L’enfant vit avec sa mère au sein d’une troupe de théâtre itinérant et il refuse obstinément d’apprendre à lire. On lui confierait volontiers des rôles d’enfant dans les pièces, on aimerait parfois qu’il joue un rôle plus fourni, plus important, plus dense, mais comment pourrait-il apprendre les textes s’il ne sait pas lire ? Un comédien qui ne sait pas lire, vous en conviendrez, c’est fâcheux. Alors un homme riche lui propose des billets de vingt dollars. En échange, il doit venir dans les bois, en cachette de la troupe, pour des cours de lecture. L’enfant accepte et se voit généreusement rétribué pour apprendre à lire.
Tout à l’heure, j’ai pensé aux éditeurs. J’ai imaginé un jeune homme qui serait fasciné par les livres depuis sa petite enfance mais qui n’aurait jamais appris à lire.
Il conduirait sa fascination de l’objet jusqu’à vouloir devenir éditeur. Subtilisant le curriculum vitae d’un autre, se retrouvant à la table d’un important de Saint Germain, il réussirait par un tour de passe-passe et par son charme naturel, à décrocher un poste précaire de lecteur pour une maison d’édition. Il récupérerait les manuscrits qui lui seraient attribués au siège de la maison d’édition avec une petite fiche signalétique et biographique de l’apprenti écrivain. Ceux qui n’auraient pas laissé leur numéro de téléphone seraient d’emblée éliminés. Il appellerait les autres propriétaires de manuscrits pour fixer un rendez-vous. Il irait à la Fnac s’acheter un dictaphone. Il élaborerait et retiendrait dans sa tête un guide d’entretien de deux simples questions.
- Bonjour, je vous ai invité(e) à prendre ce café pour vous poser des questions relatives à votre manuscrit.
Tout d’abord, pouvez-vous me décrire brièvement l’intrigue ?
Le futur éditeur écouterait attentivement son interlocuteur et le dictaphone tournerait.
- Si vous deviez retenir une phrase du manuscrit ? Si une phrase vous semble vraiment trop peu, vous pouvez bien sûr m’en proposer plusieurs.
Ceci pour que le futur éditeur ait un aperçu du style.
Le futur éditeur séduirait une secrétaire un peu bête ou très fiable car il n’a pas les moyens de s’offrir une professionnelle. Sa jeune maîtresse accepterait d’écouter avec lui les bandes du dictaphone et noterait les réponses à la première question avec les commentaires du futur éditeur quant à l’intérêt de l’histoire et des personnages. Elle noterait ensuite le jugement du futur éditeur quant au style décelé à travers la ou les phrases proposées par le prétendant à l’édition.
Leurs fiches ainsi constituées seraient remises au directeur de collection Littérature française qui déciderait.
Petite touche de cynisme (pour une fois) : "Un best-seller est généralement un méchant livre dont la vente permet à l'éditeur de publier d'autres livres tout aussi mauvais mais qui ne se vendent pas." Robert SabatierPublié par les diablotins

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