Les lieutenants-colonels Hervé de COURREGES, Pierre-Joseph GIVRE et Nicolas LE NEN ont publié en 2006 un excellent livre intitulé « Guerre en montagne – Renouveau tactique ». Ils y exposent six principes fondamentaux illustrés ensuite par six batailles emblématiques : Dobropolié (1918), Suomussalmi (1939), les Apenins (1944), Panjshir V (1982), Mount Harriet (1982) et Anaconda (2002).
Un ouvrage qui doit être lu ! Il est riche d’enseignements, et pas seulement pour la guerre en montagne : on y trouve beaucoup de résonnances avec la guerre urbaine. D’autre part, pour les engagements actuels de l’armée française, en particulier sur le théâtre d’opérations afghan, et même si le contexte « irrégulier » impose certaines caractéristiques propres, la connaissance des principes tactiques de la guerre en montagne semble indispensable.
Je me contenterai de résumer ici, très succinctement, les six principes fondateurs retenus dans l’ouvrage, en présentant pour chacun les exemples que donnent les auteurs pour les illustrer.
PREMIER PRINCIPE : LA PRÉPARATION AUX CONDITIONS DE L’ENGAGEMENT.
Aguerrir les corps et former les esprits pour vaincre le milieu.
En montagne, le milieu et ses conditions particulières imposent aux combattants des contraintes si pénibles et incertaines qu’on peut considérer que le milieu est un ennemi à part entière : il use les corps et les esprits des combattants avant même l’engagement et fait peser des incertitudes supplémentaires qui renforcent encore le brouillard de la guerre. Le seul avantage est qu’il impose sa loi à tous les belligérants du théâtre. Une troupe et des chefs aguerris sont donc indispensables pour supporter et dominer cet environnement hostile et mouvant. À la bataille, celui des camps qui saura disposer d’une force convenablement préparée à la montagne disposera d’un avantage décisif lui permettant de prendre l’ascendant, tant physique que moral, sur l’adversaire.
Exemple de procédés pour la « préparation aux conditions de l’engagement » :
1. Se préparer physiquement et moralement : aguerrir les corps / durcir les caractères.
2. Se préparer techniquement : former les chefs / instruire les soldats / se doter de matériels spécifiques.
3. Se préparer tactiquement : acquisition d’une capacité d’action autonome / entraînement interarmes et interarmées.
DEUXIÈME PRINCIPE : L’UBIQUITÉ.
Sidérer l’ennemi par une menace tous azimuts.
Le terrain montagneux peut être facilement verrouillé : celui des camps qui parviendra à faire peser sur l’ennemi une menace tous azimuts, anticipera voire provoquera ses mouvements par un renseignement de qualité et des manœuvres de déception, déconcentrera ses moyens afin d’obtenir un effet maximal sur le terrain, arrachera la victoire. Ces enseignements sont valables en plaine, mais la compartimentation particulière du milieu montagneux, qui rend l’ubiquité possible, augmente notablement l’impact de ces manœuvres.
Exemples de procédés pour « l’ubiquité » :
1. Paralyser l’approche de l’ennemi : approche omnidirectionnelle / approche « omnidimensionnelle » / manœuvre d’enveloppement.
2. Jauger les faiblesses du dispositif adverse : renseignement de contact / manœuvre de déception.
3. Frapper par surprise le cœur du dispositif ennemi : choix du moment / choix du terrain / choix des moyens / nature de la manœuvre.
TROISIÈME PRINCIPE : L’OPPORTUNISME
Provoquer des opportunités dans un milieu révélateur.
La nature du terrain prédétermine la manœuvre adverse, ses axes d’efforts, ses points de concentration. Par le renseignement et l’anticipation, la force doit exploiter au maximum les particularités du milieu pour provoquer des engagements décisifs, prendre et conserver l’initiative.
Exemple de procédés pour « l’opportunisme » :
1. Gagner la bataille du renseignement : acquérir le renseignement sur l’ennemi et le terrain / mener des actions de contre-renseignement / exploiter le renseignement en boucle courte.
2. Positionner judicieusement ses forces sur le terrain : reconnaissances, avant-gardes / réserves.
3. Devancer l’ennemi sur les points clés du milieu : s’emparer du terrain marginal par tout temps / frapper l’ennemi par surprise / coordonner ses forces pour l’exploitation.
QUATRIÈME PRINCIPE : LA DOMINATION DU CHAMP DE BATAILLE.
Qui tient les hauts exploite par les bas… Qui ne tient pas les bas perd les hauts.
La maîtrise des points hauts apporte la domination psychologique et permet d’optimiser l’utilisation de ses moyens. C’est une manœuvre nécessaire, mais non suffisante : l’exploitation et la décision se font sur les parties basses du terrain.
Exemples de procédés pour « la domination du champ de bataille » :
1. Maîtriser les parties hautes du terrain : s’emparer des hauts / défendre activement / élargir le dispositif / durer.
2. Exploiter par les parties basses du terrain : s’infiltrer / déboucher par surprise / rechercher la décision / sécuriser.
CINQUIÈME PRINCIPE : LA COMPLÉMENTARITÉ DES FEUX.
Dresser contre l’ennemi une matrice de feux.
La nature du terrain impose la diversité et la redondance des feux : tirs directs, appuis indirects (air-sol et sol-sol), munitions de précision, armes d’infanterie… Les moyens de feu disponibles doivent se combiner harmonieusement pour obtenir l’efficacité maximale en fonction des caractéristiques du compartiment où l’engagement a lieu.
Exemple de procédés pour « la complémentarité des feux » :
1. Déployer la matrice des feux : déléguer et décentraliser les capacités feux / densifier les capteurs / déterminer les zones opportunes de tir en fonction du terrain.
2. Utiliser des vecteurs complémentaires : vecteurs sol-sol et vecteurs air-sol / tirs courbes et tirs directs / feux frontaux et feux latéraux.
3. Privilégier la précision par rapport à la saturation : missiles et obus dirigés / étager les vecteurs / alléger le poids logistique.
SIXIÈME PRINCIPE : LE SIÈGE DE L’ENNEMI.
Mener la guerre contre les voies de communication de l’ennemi.
Les voies de communication et d’approvisionnements, pour tous les belligérants, sont rares et facilement identifiables : il faut à la fois mener le combat contre les artères qui irriguent le dispositif adverse afin de provoquer son asphyxie tout en assurant la sécurité de ses propres flux. La manœuvre est donc double : tronçonner le dispositif adverse pour encager l’ennemi tout en assurant le désenclavement de ses propres troupes dans un milieu peu propice.
Exemples de procédés pour « le siège de l’ennemi » :
1. Couper le cordon ombilical de l’ennemi : tronçonner ses principaux axes logistiques / paralyser ses moyens de transport aériens / détruire ses relais de transmission / saisir ses bases logistiques.
2. Protéger ses propres voies de communication : disperser et diversifier ses moyens de communication / disposer d’itinéraires de « variantement » / tenir les points hauts le long des axes logistiques / « pousser » la logistique / accroître l’autonomie logistique des échelons de contact.
POUR EN SAVOIR PLUS :
- En complément de cette présentation, le lecteur consultera avec profit cet entretien avec les auteurs parus dans la revue Doctrine.
- La revue Héraclès a consacré son numéro 25 à la 27éme brigade d’infanterie de montagne.
- Le site internet de l’Académie de Rouen a mis en ligne un texte intéressant, quoiqu’un peu court, qui revient sur cette problématique : « La montagne et la guerre : étude de cas ».
- Pour une vision géopolitique, le site hérodote.net propose un très bon article d’Yves Lacoste : « Montagnes et géopolitique ».
- Enfin, retour au terrain et au théâtre afghan, le blog « Militaire » publie un article très intéressant sur la tactique des embuscades. Pour une illustration concrète de certains principes énoncés plus haut…