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Eugène Ebodé : Habiller le ciel

Par Gangoueus @lareus
Eugène Ebodé Habiller ciel

Je ne peux pas tout dire de mes échanges avec le milieu du livre et des raisons qui peuvent m’amener à lire un roman. Je ne réponds pas à la question de la poétesse Nanda La Gabona lors d’une édition du Festival Powètudes sur les motivations d'une lecture.

Avec le roman Habiller le ciel d'Eugène Ébodé, j’ai tout de suite décidé de faire une émission littéraire autour du thème de cet ouvrage qui a une place singulière dans la production de l'écrivain camerounais. En effet, ce roman traite de l'hommage qu'un fils peut rendre à sa mère. 

Je me suis rendu aux obsèques du chef de famille [...] Je n'ai cependant pas pu me hâter vers Mère pour sceller nos adieux définitifs. Ai-je eu tort ? Ai-je agi conformément aux circonstances et à ce qu'elle aurait approuvé ? Je m'enfonce dans un labyrinthe aux hypothèses sans cesse fluctuantes. Justes et fiables un jour, elles ne le  sont guère le lendemain. (p. 9)

Perdre sa mère est une chose. Ne pas pouvoir assister à son inhumation en est une autre surtout quand cette femme a réellement tenu un rôle primordial dans l’éducation, dans la formation qui ont forgé l’homme public, l’intellectuel brillant qu’est devenu Eugène Ébodé au fil des années. Tout au long de cette lecture, j’ai pu mesurer l’impact, le poids au sens positif du terme, non comme une entrave, de Mama Africa, Vilaria. L'intellectuel lui doit beaucoup, la littérature francophone aussi.

Comment en parler ? C’est assez difficile. Sur quel temps et ton peut-on écrire un tel roman ? 

"Ces mêmes sensations provoquent le tumulte entre les chronologies quand elles ne s'amusent pas pas à recomposer, dans le passé,  une hiérarchie des faits et de leurs perceptions. Je vis un temps autre : il s'appelle le passé recomposé [...] Il faut donc, me dis-je, que je me dépêche d'accoucher de ma mère avant l'envol complet de souvenirs, ces trésors dévalués! Je me dis aussi qu'un être n'est pas la somme des évènements du passé. Reconstruits ou non." (p.14)

Il ne s’agit pas d’un récit mais plutôt d’un roman comme je l'ai indiqué, une auto-fiction, genre dans lequel excelle cet écrivain. Ne me demandez pas d’aller démêler le vrai du faux dans cette narration, car dans le fond ce n’est pas très important. Inscrire tous ces propos sous l'égide du roman constitue une sorte de soupape pour que l’artiste ausculte l’intime sans rien occulter. Le label roman peut être une belle échappatoire au moment de la réception du livre et une puissante motivation dans le processus d’écriture.

Au commencement, Vilaria

L’entame du roman porte sur la disparition de Vilaria. Elle est morte. Le deuil. Les usages coutumiers autour des funérailles de cette femme Beti. À partir de ce moment se construit un roman sur la remémoration et la recomposition du lien tendre entre un fils et sa mère. Il y a ce qui relève du regard du fils pour sa mère et l’orientation qu’elle donne à la vie de ce dernier. La quête de l’excellence va être une constante imposée. Ce qui est intéressant et léger, c’est le fait que le romancier n’est pas analytique dans sa démarche. Il ne cherche pas à comprendre cet acharnement salutaire de cette mère courage pour une réussite sociale passant par les études. On découvrira qu’elle a le sens des affaires. On saura également qu’elle fut une danseuse hors pair dans sa jeunesse. On partagera du temps avec ses soeurs. Elle est surtout la fille de Koukou, une femme de caractère qui n'a aucune considération pour son gendre Ébodé. Dans cet écosystème, il y a là une absence, celle du père, bien que présent physiquement. C’est probablement un angle d’attaque choisi par l’auteur pour procéder à cet hommage à l'endroit de la mère.

Ensuite, Eugène 

Le tout est intriqué. L’orientation de la mère impacte le fils qui a ses propres envies. C’est un bon élève, un sportif élite et, à ses heures perdues, il écrit des pièces de théâtre avec un ami. Seulement, il échoue au probatoire, cet examen propre au Cameroun qui se déroule en classe de première, au lycée, et qui ouvre la porte aux classes de terminales. Je comprends mieux la présence de lycéens camerounais au Congo, du temps de mon adolescence, cherchant à contourner cet obstacle afin d'obtenir leur baccalauréat. Si vous suivez mon récit vous comprendrez au vu de l’amour que voue le narrateur pour sa mère, cet échec équivaut à une catastrophe nucléaire, en tout cas de son point de vue. Il part au Tchad pour passer ce bac et, accessoirement, pour y jouer au football. Il y rencontrera son premier amour. On pourrait se dire qu’il se la raconte un peu même si, en 1979, il nous fait vivre de l’intérieur, l’arrivée des troupes de Gukuni Weddeye et d’Hissene Habré et de la guerre fratricide que ces deux seigneurs de guerre vont se livrer à Ndjamena. J’avais cinq ans quand cet épisode douloureux passait régulièrement aux infos du journal télévisé d’Antenne 2 que mes parents aimaient suivre, du côté de Lyon. Abéché, Faya Largeau, Fort Rousset… Cet épisode me renvoie également au roman Le départ de Nimrod. Année académique interrompue, nouvel échec donc, un retour sur Yaoundé après un passage dans un camp de réfugiés.

Mon avis

Après coup, je trouve cette lecture extrêmement intéressante. En particulier, le traitement de la reconnaissance qu'un fils peut avoir à l’endroit de sa mère. Je ne saurai dire si Mama Vilaria est représentative de nombreuses femmes et mères camerounaises. La forme d'émulation imposée à sa progéniture pourrait expliquer cet élitisme qu'on retrouve dans ce pays, mais ce serait de ma part une extrapolation non argumentée. On finit par s'attacher à cette mère déterminée, et avec la même tendresse que j'ai pour la mienne, je partage la distance et la pudeur du témoignage d'Eugène Ébodé. Je regrette juste la lisibilité de la trame de ce roman.

Habiller le ciel, Eugène Ébodé

Editions Gallimard, collection Continents noirs, 2022


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