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On dirait qu'on se souvient. (Irène Némirovsky)

Par Jmlire

dirait qu'on souvient. (Irène Némirovsky)Irène Némirovsky, vers 1917

" Dormir ensemble. Ah ! ne pas seulement coucher ensemble, mais dormir !

" Ce qui nous manque, c'est de vivre ensemble, songeait-elle ; rien, sans doute, aucune intimité physique ne vaut le sommeil dans le même lit, nuit après nuit, et non pas une heure..."

Comme elle avait changé !... Au coin de sa bouche paraissait une marque à peine perceptible, dessinée, comme avec un trait d'ongle, et qui serait, un jour, la première ride. Cet instant où, tout à coup, on ne se sent plus assurée de rester éternellement jeune, cela ne ressemble pas à une pensée. Ce n'est même pas un instinct. On ne redoute rien encore. On dirait qu'on se souvient. Dans la rue, quand elle passait, quand elle jetait autour d'elle ces regards triomphants, insolents, de l'extrême jeunesse, et qu'une femme vieillissante la croisait, elle lisait clairement sur ce triste visage :

" Toi aussi... toi aussi... un jour..."

Cela approchait. Cela allait venir, pour elle comme pour les autres. Elle comprenait enfin ce que signifiait : "Il m'a rendue femme..."

Oui, femme... Non seulement apte au plaisir, mais à la douleur. Mûrie, non seulement dans sa chair. Cela, ce n'était rien, mais dans son âme.. Ce qu'il avait fait jaillir en elle, cette source mystérieuse, secrète, contenait à la fois et la joie et la peine. Elle avait cessé de se croire vouée au bonheur. Elle savait que toutes les blessures pouvaient l'atteindre, que toutes feraient flèche désormais..."

Irène Némirovsky, extrait de "Deux", Éditions Albin Michel, 1936, 2011.

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