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Hors de la norma(lité) - Théâtre du Marais (Paris) : notre rencontre avec l'artiste Norma

Par Filou49 @blog_bazart
lundi 11 décembre

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Il y a des rencontres qui marquent pour toujours. Ici, c’était autour de deux sirops citron et grenadine avec une musique de fond et un sourire rayonnant. Celui de Norma. Ce sourire, c’est une forme d’énorme doigt d’honneur à la vague qu’elle s’est prise en pleine figure à l’âge de 3 ans. De ses 3 ans à ses 12 ans, Norma a été victime d’inceste, agressée par son grand-père par alliance. A 12 ans, elle confie à sa grand-mère la vérité sur ce que son époux lui fait endurer et, reçoit une gifle comme seule réponse. S’ensuit la deuxième : l’omerta se met en place. Le silence devient invivable avec l’agression qui anesthésie la violence, les névroses, une image de soi catastrophique. 

Norma en parle à ses proches, notamment sa mère, c’est une première phase. Elle l’inscrit à un cours de théâtre « extraordinaire » pour elle : cela lui permet « d’être quelqu'un d'autre et de pouvoir jouer un autre personnage qui (lui) autorisait une espèce de liberté qu’(elle) n'arrivait pas à trouver dans ce corps meurtri, dans cet esprit qui n'arrivait plus à fonctionner. » Le mal de vivre grandit avec l’âge et avec cela, une pensée : « Peu à peu, je me suis crue perverse, coupable d’avoir inventé une histoire insensée pour faire mon intéressante. ». déclare-t-elle dans Le Monde. De ses 16 à 25 ans, elle arrête tout, le théâtre, les études. Hier, son agresseur a voulu la faire taire. Aujourd’hui, Norma parle haut et fort sur scène. 

« Depuis toute petite, je rêve d'être humoriste, donc j'ai décidé de faire un spectacle drôle sur ma vie et sur le fait que j'étais une grande névrosée, une grande angoissée avec des pensées obsessionnelles et tout ». En fin d’écriture, c’est sa metteuse en scène Coralie Lascoux qui l’encourage à expliquer la raison de ses névroses parce qu’ « encore une fois ce sont les femmes qui vont passer pour des folles. Il faudrait expliquer souvent la raison de la folie des gens (…) qu’on ne devient pas psychiquement bancal juste parce qu'on l'est de base (mais) parce qu'on a eu des chemins de vie parfois chaotiques ».  

Dans ce seul-en-scène survolté, Norma pose les termes dès les premières minutes, quitte à reconnaitre « être une bonne ambianceuse ». Oser en parler et surtout faire théâtre de son parcours n’a pas été une certitude dès le début : « Ça a été un long travail de me dire comment je peux expliquer aux gens que j'ai le droit de faire ce que je veux de mon drame et de fait, de contrebalancer cette espèce de méfiance de la victime. On se méfie toujours (…) à regarder la victime, à essayer de comprendre pourquoi elle a été violée et en fait elle n'a pas été violée parce qu'elle est ; elle a été violée parce qu'elle a été prise dans les griffes d'un agresseur ». 

L’écriture est si bouleversante et tordante, notamment quand on pense à ce fameux passage où Norma veut donner tout son amour aux autres aux dépens du sien quitte à comparer son amour propre à un paillasson. Accepter de se lancer en thérapie et représenter l’inceste subi et son agresseur avec béret et accent du Sud-Ouest, tout y passe… Sur une chaise, un cadre expose une photo de celle qui « ne disait que des bêtises » et qu’on ne croyait jamais. Jamais à la bonne place ou le bon mot. À côté, Norma, en chair et en os, avec environ vingt années de plus. On a l’impression de regarder une réconciliation avec son enfant. Toute victime de violence semble devoir se regarder et se pardonner d’avoir été si dur envers soi-même. Cela fait écho avec une scène des Chatouilles (réalisée par Andréa Bescond qui raconte son histoire) où Odette adulte vient chercher dans l’obscurité la petite Odette et lui demande pardon de l’avoir abandonnée. Derrière la décision d’en rire, il y a eu des années de colère : le corps qui devient reflet des traumatismes (les effets cutanés et autres) impossible à aimer et seulement lavable à la javel, le rapport au plaisir compliqué pour les femmes victimes de violences…. Les impacts sont multiples…

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« J'avais envie de mettre la lumière sur la vérité de ce que de ce qu'on vivait en qu'on avait vécu en tant que victime ». Parce que passer de la colère au rire, c’est mettre fin à un déni sociétal, celui de la culture de l’inceste (pour reprendre Iris Brey et Juliet Drouar). L’inceste n’est pas une exception pathologique, mais une règle – un trauma collectif, dont il est urgent de mesurer l’ampleur. D'après les statistiques, dans une classe de 30 enfants, trois sont victimes de violences sexuelles. Autre chiffre donné par l’INED : en 2020, 6,7 millions de Français affirment avoir été victimes d'inceste. L’ampleur du traumatisme collectif est telle que l’inceste s’inscrit naturellement dans le « fonctionnement général d’une société basée sur le principe de domination » (Juliet Drouar): "s’il est tabou de dire l’inceste, il n’est pas tabou de le faire". Il n’est point tabou aussi de le représenter dans les productions culturelles, jusqu’à le romantiser : on peut citer par exemple Games of Thrones, Lolita qui « permettent d'asseoir une culture, une systématique de l'inceste ».

 L’urgence de se défaire d’une culture incestueuse est entendue pour Norma : « je pense que la société est prête à voir les choses (…) les citoyens du pays s'emparent du sujet. ». Reste à l’Etat de prendre en compte ce changement : « je ne croirai jamais au changement quand on a deux ministres soupçonnés de viol. J’arrive pas à me dire que les choses peuvent changer drastiquement quand le système d'oppression est encore là ! (…) Si les lois ne changent pas, si les mères ne peuvent pas retirer les enfants de chez leur père, on aura beau crier, faire des spectacles, chanter, écrire des livres, faire des manifestations, ça restera des mères qui seront obligés de déposer leurs enfants chez des pères potentiellement agresseurs. »

Que fait la justice ? Comme le rappelle le juge Edouard Durand (aussi co-président de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) dans le documentaire co-réalisé par Anastasia Mikova et Emmanuelle Béart Un silence si bruyant (dans lequel témoigne Norma), « l'avancée de la loi ne va pas à la même vitesse pour les victimes par rapport à l'État ». Il faut d’abord reconnaître que l’enfant « est une personne qui a un besoin de sécurité, notamment sur le plan affectif. » pour sortir de cette culture de l’inceste. Qu’est-ce que dirait la Norma d’aujourd’hui à la Norma enfant ? « Je lui dirai que c'est terrible ce que j'ai vécu et ok, j'ai des raisons que la vie soit difficile. Ce n’est pas moi qui fais du cinéma. Je lui dirai qu'elle ne récupérera pas tout de ce drame, mais quand même, il y a beaucoup de choses qui vont aller mieux ». 

En attendant, son spectacle indispensable et d’utilité publique porte cette parole des victimes de violences sexuelles et fait un bien fou. L’art-thérapie ou plutôt la thérapie par le rire procure une onde de choc et de force vers celles et ceux qui se battent encore vers la résilience. Par sa force et son écriture, la moule a transformé le rocher auquel elle était accrochée. 

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Crédits photos : Quentin Chevrier

Norma[le]
Écrit par Norma.
Mise en scène par Coralie Lascoux.

Tous les mercredis à 21h au Théâtre du Marais (Paris 3ème)

Jusqu'au 27 mars 2024

Retrou/vez aussi notre critique du spectacle vu a Avignon l'an dernier 

Jade SAUVANET


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