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Mahmoud Soumaré : Terre des sans-patrie

Par Gangoueus @lareus
Mahmoud Soumaré : Terre des sans-patrie

Ecrire depuis la marge. C’est une démarche qu’emprunte l’écrivain ivoirien Mahmoud Soumaré dont je viens de terminer le nouveau roman Terre des sans patrie. Le titre est sans équivoque. Racontons l’histoire de cette lecture…


La narration commence par un échange entre le patriarche d’une communauté bâtie sur/dans un ravin et une femme Madame Jeannette. C'est un discours sur la marge qui se construit depuis la période coloniale et qui évoque un mouvement de certaines populations de Haute-Volta vers la pays des Eléphants. Avec la question fondamentale pour la descendance de ces migrants d’un droit du sol qui a été ignoré avant les indépendances, ces populations étant trop investis dans les campements et les plantations de café et de cacao pour prêter attention à un sujet qui leur sera préjudiciable plus tard…
« Oui, certains ne savaient pas qu’il y avait le droit du sol au moment ce droit était en vigueur. D’autres le savaient mais ne s’étaient pas donnés la peine d’en faire les démarches. Toujours est-il qu’ils terminèrent leur vie dans les zones forestières, là où les pièces d’identité ne leur paraissaient pas vitales […]  _ Bien sûr, la plupart des habitants de cette enclave, que toi et moi appellerons dorénavant Le Ravin ou La Gorge, sont des sans-papiers descendant de ceux sur qui le droit de sol s’est refermé. » (p.20)

L’écoute de Madame Jeannette, la narration de la rupture du lépreux.

Ce roman pose sa tente dans un ravin. Un lépreux nommé Baba Mathusalem a quitté sa famille et sa communauté, actant ainsi le rejet lié à sa maladie. Alors qu’un fils de bonne famille suisse, Raoul Follereau, travaille à tendre la main et à soigner les lépreux, en distribuant son héritage, un peu partout dans le monde, Baba est honni par les siens. Il marche donc.
« Je compris alors que je n’avais plus de place à côté de ces gens qui n’avaient pas la force d’embrasser le lépreux de leur famille… Je pris la route, la route de l’exil, les laissant figés. - Aviez-vous une pièce d’identité en poche ? - Je suis parti sans acte de naissance ni carte d’identité ». (p.32)
Il y a dans ce moment que se remémore Baba Mathusalem, la fondation de son action sociale et de sa mise en marge de la société. Il y a là un choix du lépreux de définir lui-même sa position et de porter un regard critique sur des sociétés que l’on dit pourtant très inclusives. Sur la route, Baba Mathusalem fait des rencontres. Certaines l’engagent à poursuivre sa route du fait de la désillusion et de la perte de certaines valeurs de fraternité quand il aborde la périphérie des mondes urbains de l'Empire de l'extérieur :
« Je pensai à des personnes qui, dans le respect de leurs coutumes, me tendraient d’abord de l’eau à boire puis diraient :  Etranger, si vous êtes venu vers nous avec la paix et si vous êtes fatigué, prenez ce seau d’eau pour vous laver et cette natte pour passer la nuit. Demain, nous demanderons de vos nouvelles.  J’osai alors entrer dans le hameau. A mon Bonsoir tout le monde,  on me retourna : Bonsoir toi seul. « De quelle ethnie êtes-vous ? » […] « Veuillez m’excuser ! Je me suis trompé de porte », répliquai-je. (p.39).
Il y a la un discours très critique sur une notion essentielle dans la culture ivoirienne : c’est l’accueil. Renvoie-t-on vraiment Baba Mathus parce qu’il ne fait par partie du groupe ? Pour avoir vécu quelques années en Côte d’Ivoire, je suis étonné par cette séquence et je me dis que certains fondamentaux ont bougé depuis 25 ans.

Les Ravins pour mieux parler de la Côte d’Ivoire actuelle.

Baba Mathus parle à Madame Jeannette. Il raconte son histoire et surtout le contexte de la création de cette communauté du Ravin. Cela est dit comme un conteur construirait par des images saisissantes une narration avec une morale précise.  Le Ravin a sa marque de fabrique. Tous les ravins ne se sont pas construits avec les mêmes valeurs. Certains sont des repères de truands, de microbes et de loubards. D’autres sont le terrain de jeux d’investisseurs immobiliers douteux. La communauté de Baba Mathus est faite de ces sans-papiers qui ont fait les choux gras de la période de l'ivoirité.  
« Oui, le Ravin est l’ennemis des vents », ai-je répondu, avant de leur raconter qu’un jour les vents se sont moqués du Ravin en disant que son visage n’est qu’un assemblage difforme de bouche et d’yeux. Depuis lors, par peur des représailles, les vents passent en vitesse dès qu’ils arrivent à quelques pieds de la gueule ouverte du Ravin, évitant d’être happés et réduits en morceaux ». (p.23)
Il y a tout une métaphore sur les vents porteurs de changement, d’influence que je trouve intéressante et auquel le Ravin résiste. Elle caractérise l'écriture de Mahmoud Soumaré qu'il faut prendre le temps de lire. Le terme résistance dans la bouche de Mathusalem est récurrent quand il présente sa société à Madame Jeanette. Il indique une intention farouche de ne pas se soumettre à la corruption de l’Empire de l’extérieur et de nombreux autres travers, pourtant à la porte du Ravin. 
« Nous résistons et nous résisterons, mais ils finiront par nous avoir. Je préfère d’ailleurs le mot gorge à son synonyme ravin, car j’ai le sentiment que nous sommes en transit dans la gorge et que nous descendons lentement vers la panse de l’animal… Nous serons avalés un jour ou l’autre » (p.22)
Baba Mathus, dans sa résistance, lutte contre toutes les formes de prosélytisme religieux qu’elles soient le fait du christianisme ou de l’islam, en renvoyant chacun des émissaires qui veulent avoir une implantation dans cet espace à part, aux contradictions du système qui les envoie si peu porté à l’accompagnement des marginaux, malgré leur puissance financière respective. Toute cette phase du roman est saisissante. Nous sommes cependant sur le terrain de fiction. Question : La communauté de Baba Mathus est-elle si vertueuse que ne présage son discours ?

Déconstruction d’une utopie. 

Le propos de l’écrivain va se resserrer sur des personnages singuliers qui vivent dans ce ravin, sur le rapport des Ravinois avec le reste de la « communauté nationale ». Madame Jeannette s’installe dans cet espace et elle adopte des enfants dont les parents sont morts des suites d’une pluie désastreuse qui les a emportés. Cinq enfants pour elle qui a perdu sa fille quelques années plus tôt c'est un nouveau départ. Elle devient MamJa pour ces enfants. Aussi belle soit une idéologie, les rapports entre humains se nourrissent des mêmes ressorts, des mêmes envies, des mêmes frustrations, des mêmes travers. Quand on suit Mahmoud Soumaré dans ce roman, on peut se poser la question de savoir : « Quelle est son intention ? ». De la bonté et l’altruisme, on passe à la lâcheté et l’autoprotection. MamJa se bat pour prendre soin de sa tribu. Par tous les moyens. Elle est elle-même une exclue du système. Sommes-nous en mesure de porter une misère, une complexité qui nous dépasse ?
Une chose est certaine. Le roman de Mahmoud Soumaré est très bien écrit. Entre les dialogues, les descriptions de ce petit monde, la scrutation des sentiments et ressentiments des uns et des autres, Soumaré se montre, comme dans Les marcheurs de Bougreville, un remarquable scrutateur de l’âme humaine. Ici, celles des marginaux, mais c’est une habitude chez l’écrivain ivoirien. 
Mahmoud Soumaré,  Terre des sans-patrieLes classiques ivoiriens, parution en 2023

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